Le temps est gris, les nouvelles ne sont pas roses… Mais Metaphor est encore là pour illuminer notre automne et on a très envie d’en parler à nouveau.
Si l’actualité vous pèse ou vous déprime, vous êtes ici au bon endroit. Voyageons loin pour nous offrir un peu de fantasy, dans un monde fictif où les enjeux et les préoccupations sont bien éloignés des nôtres. Enfin un peu de divertissement féérique qui nous écarte des tracas quotidiens et nous donne une belle occasion de rêver un peu. Car c’est bien là ce que nous propose le nouveau jeu d’Atlus, Metaphor : ReFantazio, sorti cet octobre et dont l’univers nous obsède encore au moment où ces lignes sont écrites.
On a encore bien en tête le récit épique et émouvant de ce J-RPG – sans doute l’un des plus beaux de cette année – qui dépeint sa lutte démocratique. Une bataille politique pour le pouvoir faisant rage dans une civilisation en proie au racisme et à la division des classes populaires, soumise à la volonté d’une élite de préserver un ordre social injuste. En tête de ces élections historiques, deux terribles candidats : l’un populiste et méritocrate, l’autre conservateur et traditionaliste. Voilà bien les bases d’un scénario que ne pourrait arriver que dans la fiction.
Mais ce qui relève encore davantage du fantasmagorique, c’est que dans Metaphor, il nous est possible de briser la machine viciée. Une perspective qui semble appartenir aux songes, et pourtant…
La Metaphor finale
Un peu comme Baldur’s Gate 3 en 2023, Metaphor est une œuvre dans laquelle on aura investi beaucoup de temps et d’amour, sans pour autant accoucher d’un test. La raison est simple : on arrive tard après la sortie du jeu et celui-ci était si dense et passionnant, qu’on n’avait guère envie de se presser. Alors comme Baldur’s Gate 3, plutôt que de sortir une analyse du jeu similaire à ce qu’on a pu lire partout ailleurs, cette aventure sur Metaphor se conclura pour nous avec différemment, mais non moins sans un enthousiasme débordant et sincère.
Pour le dire simplement, Metaphor : Refantazio est, pour l’auteur de cet article, le jeu de l’année. Ce fut une expérience merveilleuse qui a répondu toutes ses attentes et les a même dépassées. Alors qu’ajouter à la critique quand on a dit ça ? Oui Metaphor est l’héritier génial des autres titres d’Atlus : il les prolonge et les perfectionne tout en se risquant à créer un univers inédit, bien loin des lycées japonais. Et certes la structure du jeu très similaire aux Persona (le tour par tour, les quêtes à échéance, les archétypes) décevra peut-être ceux qui espéraient une totale révolution du gameplay. Ce serait à peu près ce qu’on aurait pu dire dans une critique plus classique.
On pourrait aussi énumérer la pléthore de belles choses qui ont animé l’épopée Metaphor et qui l’ont rendue si plaisante. Les personnages attachants et superbement écrits (certains parmi les meilleurs d’Atlus) ou les vivifiantes compositions musicales de Shoji Meguro. L’extraordinaire soin apporté aux interfaces et à l’UI qui ne peut certainement pas non plus être omis. Tout ça va de pair avec une réalisation d’un très haut niveau et d’une direction artistique inspirée. Mais enfin… tout ça a déjà été dit avant.
Si l’on revient, un mois plus tard, sur Metaphor : ReFantazio, ce n’est pas pour faire la liste de l’ensemble des forces et des lacunes de l’oeuvre, mais pour écrire beaucoup de bien à propos de sa plus admirable singularité : mettre tout ce qu’il a – son gameplay, ses personnages, sa musique, ses visuels, son récit, tout – au service d’un propos salutaire et qui vaut la peine d’être salué.
Le jeu d’Atlus se démarque donc en rendant hommage à l’art et au pouvoir de son héritage. L’art comme un moteur de l’action humaine, comme un pourvoyeur de foi en l’avenir. Un espoir qui relie les époques et les mondes. C’est là toute son essence, de son introduction… à ça sa brillante conclusion.
Utopistes debout
Dit de cette manière, tout ça peut paraître un peu candide. Mais l’intelligence de ReFantazio va au-delà de ses jolis discours et de sa bonne volonté politique. Car, en effet, comme ce fut déjà le cas avec Persona, le titre d’Atlus ponctue son odyssée de réflexions très antisystème. On évoque de front des questions sur l’égalité, la justice, le partage équitable des richesses et l’intolérance. Certains diront que l’ensemble manque de subtilité… et c’est plutôt vrai. Mais le studio japonais n’a jamais été fan des sous-textes, et c’est tout à son honneur. Surtout à notre époque.
Ces réflexions politiques sont canalisées par un élément clé de l’histoire du jeu, qui est un livre. Un livre ressemblant étrangement au fameux Utopia de Thomas More (écrit en 1516) qui a été l’un des piliers du mouvement philosophique et culturel de l’humanisme en Europe au XVIe siècle. Ce roman, héritier de La République de Platon, s’offrait le luxe de rêver un monde nouveau basé sur de meilleures valeurs et dans lequel l’ensemble de la société serait plus heureuse. Pour la première fois depuis longtemps, il révélait à ses contemporains une référence (même si fictive) à laquelle s’accrocher pour envisager de sortir du statu quo et souhaiter des choses folles comme des droits, l’égalité ou la paix.
De la même façon, dans Metaphor, le livre de notre héros (qui lui a été transmis par un prince ensommeillé) se trouve être l’élément déclencheur d’une révolution – ou d’une croisade ayant pour objectif de déstabiliser les pouvoirs actuels. Le roman décrit un idéal qui semble impossible et lointain à tous les protagonistes de ReFantazio. Et pourtant, il les motivera à le concrétiser. C’est cet élan vers l’improbable que peut instiller la fiction. Le premier pas vers l’action. Et ce livre si central au scénario, voilà qu’on apprend bien vite dans le jeu qu’il a été écrit par un certain More.
À ce moment-là, les plus curieux iront se renseigner sur le vrai Thomas More et son œuvre. Et quelle ne sera pas leur surprise de découvrir que le narrateur du livre se nomme Raphaël Hythlodée (en l’honneur de l’explorateur du même nom qu’a vraiment connu l’écrivain). Un nom qui fera grandement penser à Hythlodaeus V, le roi d’Euchronia dans Metaphor, et celui-là qui provoque le grand tournoi de la démocratie qui sera au cœur de l’histoire. Tout ça mène à un constat évident : le jeu d’Atlus se veut être une relecture du Utopia de More et en porter l’idéal (et non forcément les idées) dans un contexte moderne.
L’humanisme : l’archétype universel
Une fois ce constat fait, toutes les particularités de ReFantazio (qui en font tout le charme) s’éclairent d’un jour nouveau. La fantasy du jeu et le pouvoir qui la traverse – et qui se trouve alors entre les mains du joueur – proviennent du monde de la fiction. Notamment de la fiction humaniste (More est là, mais le ton satirique nous fera aussi penser à Rabelais). Ainsi le design des boss du jeu est directement inspiré des tableaux de Jérôme Bosch (peintre du XVIe siècle) et les chants des musiques de combat sont interprétés en esperanto (la langue créée par l’ophtalmologue Ludwik Lezjer Zamenhof en 1887), langage universel qui avait pour fol espoir d’être compris de tous les peuples.
Le système des archétypes de Metaphor (une magie qui nous permet d’invoquer des rôles classiques des mythes, comme le chevalier ou le mage) convoque les lois de la fiction pour affronter des ennemis concrets. De la même manière, le jeu fait l’éloge de l’art du conte – qui développe notre imaginaire, grâce aux histoires que nous racontent des PNJ – ou du chant (avec le personnage de Junah par exemple) comme moyen de mener des luttes ou de créer l’empathie chez les autres.
Enfin, c’est évidemment de nombreuses autres œuvres de fantasy que Metaphor va citer, afin de renforcer son univers, mais aussi son sujet. Le principal étant l’inévitable pilier qu’est l’œuvre de JRR Tolkien (comme confirmé par le character designer Shigenori Soejima dans une interview avec Famitsu), auteur légendaire du Seigneur des Anneaux, qui lui aussi a utilisé les mythes d’antan et la culture classique comme métaphore moderne des problématiques de ses contemporains.
Le microcosme humain étant symbolisé par les différentes races comme les elfes, les nains et les hobbits. La concorde entre les peuples et la compassion sont aussi au cœur des livres de Tolkien, qui croyait tout autant au pouvoir fédérateur et immortel des contes. ReFantazio avance dans le même sillon, avec ses huit tribus qui représentent les multiples classes sociales et la diversité ethnique de l’humanité. Leur antagonisme mutuel empêchant ainsi le progrès.
Dans un cercle vertueux qui force le respect, Metaphor met donc la fiction au service de son propos, et son propos au service de l’art. C’est aussi pour ça que le jeu respire autant la beauté sous tous les aspects et dispose d’un esthétisme de si bon goût. Il vante la force et la richesse du patrimoine culturel de l’humanité, source inépuisable de notre foi en l’avenir, en dépit de toutes les horreurs qui jalonnent notre présent.
Dans l’introduction du jeu, More nous interroge ainsi : la fantasy est-elle limitée à notre imagination ? N’est-ce qu’une création sans pouvoir ? Metaphor nous pousse à embrasser cette question pendant plus de 60 heures d’aventure épique, tout en voyant nos héros se débattre avec les mêmes interrogations. Voilà pourquoi le jeu résonne encore en nous. Car aujourd’hui, plus que jamais, il semble également crucial de se poser ses questions continuellement. Et enfin, de se nourrir de l’art, de la fiction et de la fantasy non comme un miroir aux alouettes, mais comme une source aux idées.
Je viens tout juste de finir le jeu et je tombe sur cet article.
Beaucoup de référence a des œuvres dont je n’avais pas fait le rapprochement, merci pour cette enrichissement.
Et super travail de la part des développeurs pour ce jeu qui sera a refaire pour ma part.
Perso je vous encourage à ne pas vous dire « pas la peine de faire un test vu que le jeu est déjà sorti depuis longtemps ».
Même si le jeu est déjà sorti, même si on l’a déjà retourné, il est toujours plaisant et enrichissant de lire des avis détaillés et complets, pour les jeux comme pour les films.