Avant la sortie du jeu Black Myth : Wukong, une controverse concernant un étrange document a provoqué l’indignation.
Pour cette deuxième partie d’année 2024, le jeu chinois Black Myth : Wukong est clairement l’une des sorties les plus prometteuses. Le titre développé par Game Science a même tout pour nous consoler de la fin du brillant DLC d’Elden Ring, avec ses combats de boss épiques et une direction artistique aux allures somptueuses, inspirée de la mythologie orientale.
Après l’excellent Stellar Blade, l’autre nouveau souls-like venu d’Asie (de Corée de Sud, celui-ci), on était ainsi assez impatient de mettre les mains sur la proposition chinoise Wukong. Les premiers tests sont tout juste tombés et la note générale est plutôt haute avec un score global de 82/100 sur Metacritic. Pourtant, la sortie du jeu est désormais entachée par plusieurs polémiques. L’une d’elles implique une communication très douteuse, que certains qualifieraient de censure, et amène une lumière négative sur le studio Game Science et son partenaire Hero Games.
Wukong dépolitisé ?
Quelques jours avant la sortie de Black Myth : Wukong (le 20 août), plusieurs créateurs de contenu (dont ExServ, ancien journaliste de GameKult) ont partagé sur leurs réseaux sociaux un curieux document concernant le jeu chinois. Celui-ci a alors provoqué une indignation justifiée et de vives réactions un peu partout. En quelques mots, le document en question aurait exigé des influenceurs contactés un silence total sur un bon nombre sujets précis, après avoir joué à Wukong. Et la liste des sujets est franchement déconcertante.
Celle-ci inclut de nombreux thèmes politiques dont la pandémie, le confinement, l’industrie chinoise du jeu vidéo (carrément) et même… le féminisme. Alors, a priori, il ne s’agit pas d’un contrat légal (comme les NDA qu’on fait signer aux journalistes), mais d’un brief officieux communiqué aux créateurs de contenu en accompagnement de leur clé du jeu. Celui-ci n’en reste pas moins absurde et trop restrictif. C’est Hero Games, partenaire marketing et principal investisseur de Game Science, qui en serait à l’origine.
En toute bonne foi, on aurait pu d’abord douter de l’authenticité de ce document. On est jamais à l’abri d’une campagne de désinformation très agressive, après tout. Néanmoins, selon Forbes, les exigences formulées par le studio dans le mail reçu seraient bel et bien réelles. Le journaliste Paul Tassi a lui-même vérifié la chose auprès d’une source de confiance qui lui aurait partagé le document et un code Steam valide allant avec.
Aujourd’hui, les créateurs de contenu et influenceurs possèdent une voix plus forte que celles de la presse. C’est ce qui explique que ce brief de « censure » n’a apparemment pas concerné les journalistes, dont les NDA auraient été plus classiques. Par ailleurs, le mot censure est à prendre avec des pincettes, car rien n’oblige les influenceurs ayant reçu le brief à le respecter. Il s’agit plus d’une forme de pression de la part de Hero Games qui semble vouloir garder un certain contrôle sur la parole des créateurs, en échange de laquelle ceux-là resteraient dans leur bonne grâce.
Game Science interroge
Maintenant, au-delà des questions déontologiques qu’implique toute cette affaire, celui-ci nous donne envie de nous interroger sur quelques points spécifiques. D’abord, la politique qu’est celle de Game Science. Et ensuite, une réflexion plus globale sur la liberté d’expression de la presse et des influenceurs JV.
Premièrement, pourquoi interdire la mention de la pandémie et du confinement ou de commenter l’industrie du jeu en Chine ? Le développement de Wukong a débuté en 2018, et a été lourdement impacté par la la crise du Covid-19 – celle-ci a été gérée de façon particulièrement drastique par la Chine – et, il règne une très forte opacité sur les conditions de travail des développeurs de Game Science pendant cette période.
En sachant que l’industrie du jeu n’est jamais tendre avec ses employés (on a de nombreux exemples chaque année et dans tous les pays), qu’en a-t-il donc été de ceux de Game Science pendant la difficile pandémie ? Là, on ne peut que présumer et rester songeur. Mais si on y ajoute la mention de féminisme dans le document, il y a encore de quoi s’interroger. Car ce n’est pas tout à fait anodin non plus.
Si la demande du studio peut être interprétée comme une simple volonté de ne pas susciter de sujets politiques, le terme « propagande féministe » paraît un brin étrange. Surtout quand on le corrèle à l’historique misogyne de Game Science (impliquant, entre autres, une campagne de recrutement hyper sexiste en 2015) qui a été richement relatée dans une récente enquête d’IGN. Il s’agit même là d’un lourd passif qui soulève d’autant plus les inquiétudes vis-à-vis de la bonne conduite de la compagnie avec ses équipes internes.
do’s and don’ts : adieu esprit critique
Outre le fait de restreindre les possibilités de langage des journalistes et testeurs, soulignons que le caractère particulièrement vicieux de la seule ligne des « Do’s » (ce que doit faire le journaliste) : « Enjoy The Game » (apprécier le jeu). Si cela peut paraître anodin, il s’agit en réalité d’une instruction donnée très vicieuse. Le message sous-jacent est que le journaliste/testeur DOIT apprécier le jeu, et donc de ne surtout pas évoquer des problèmes ou des impressions négatives.
L’injonction à apprécier le jeu fait écho à ces tendances des réseaux sociaux, et d’une franche des testeurs/représentants de la communauté JV sur les réseaux, à toujours présenter les choses sous le meilleur angle, en excluant toute partie critique ou tout argument allant à l’encontre de la hype provoquée par un jeu. Ici, le message de Game Science est clair : vous qui testez ce jeu, vous devez l’aimer, vous devez l’encenser, et ne surtout pas le critiquer. Celles et ceux qui oseront braver cela se verront sûrement blacklistés, et ne recevront pas les clés des futurs jeux du studio. Avec des conséquences simples : pas de test le jour de la sortie du jeu, pas de visibilité, pas de clic, pas de reconnaissance.
Questions d’éthique
Enfin, toute cette affaire rappelle aussi qu’il existe bien des connivences officieuses entre certains journalistes, certains studios et désormais avec les influenceurs. Il arrive parfois que des éditeurs s’assurent la bonne réception d’un jeu avec l’aide de quelques faveurs et c’est bien connu. Certains studios/éditeurs font des cadeaux aux testeurs, les invitent à des soirées VIP, leur fournissent des éditions collectors (certaines valant plusieurs centaines d’euros), tout cela dans le but de s’assurer le meilleur terrain de réception possible.
Dans ces cas là, le flou entre un jugement biaisé et la liberté critique est opaque. Et celui-ci devient encore plus sombre lorsque les exigences d’une compagnie interfèrent avec l’éthique des médias. Comment s’assure qu’un journaliste aura un retour honnête quand il sait qu’il n’aura plus droit à un traitement de faveur s’il livre une critique trop acide alors que l’éditeur lui a payé un tour en hélicoptère et quelques soirées arrosées ? De plus, il faut savoir que quelques éditeurs n’hésitent à pas demander à leurs représentants de presse d’appeler les journalistes en cas de mauvaises notes pour les modifier afin de faire remonter la moyenne du jeu sur Metacritic.
Si les exigences posées par des studios avec des NDA sont honnêtes (comme ne pas parler du jeu avant l’embargo, ne pas spoiler, etc.), il n’y a bien sûr aucun problème quelconque – et c’est même la norme. Mais il reste de bon ton d’être vigilant et de réfléchir cette limite éthique. Surtout quand elle est mise en danger par des firmes peu scrupuleuses. En particulier pour ce qui est des influenceurs, nouveaux porte-voix des studios qui, dans ces cas, devront décider de leur propre ligne déontologique, et de l’usage ou non de leur esprit critique.
Comme dit @johnmedit87, il est regrettable de ne pas mentionné Sweet Baby Inc. qui a demandé $7 millions pour wokiser leur jeu, ce que Game Science à eu la présence d’esprit de refuser.
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Et pour le « Enjoy the game » traduit maladroitement et avec mauvaise foi de surcroix, ça se traduit plus rigoureusement par : « Profitez du jeu ! » ou « Amusez vous bien en jouant à notre jeu !«
Bonjour. Je risque un pavé potentiellement supprimable.
Il est regrettable de ne pas avoir mentionné une seule fois dans votre article l’affaire Sweet Baby Inc. qui leur a également causé des soucis. Et certes si ce document peut faire hausser les sourcils, et sans vouloir me prétendre « porte étendard de la vérité absolue et indiscutable », on pourrait nuancer par une sorte de protection après tout le racisme qu’ils ont subi pendant la pandémie et éviter de gaspiller à nouveau de l’encre après la polémique lancée par le « bébé doux » nord américain, seul garant du monde libre et juste (eux peuvent le prétendre). On en vient un peu à ce cliché de l’occident qui s’amène en clamant « Bonjour, vous prendriez bien un peu de Démocratie dans votre face ? Laissez-nous vous aider car nous connaissons mieux l’Histoire de votre pays que vous ! »
Il serait de bon ton de rappeler que chaque pays et région du monde a ses codes, ses principes et ses façons de penser.
Il y aurait beaucoup de choses à ajouter (les entreprises peu scrupuleuses, politiques de l’occident, wokisme…) mais ça provoquerait l’ire générale.
C’est une nouvelle fois beaucoup trop de politique qui vient d’avantage blesser le monde du divertissement dont nous avons tous terriblement besoin.
C’est dommage d’en arriver là pour un jeu vidéo qui nous offrait la possibilité d’incarner le singe « Grand Saint Égal du Ciel » qui part donner des bourres-pifs à l’armée du Ciel.
Julien chieze a-t-il donné son avis sur la question ?
C’est juste une entreprise chinoise qui a oublié qu’elle bossait a l’international et qui a fait comme elle aurait fait si elle gérait sa communication a l’intérieur de ses propres frontières