Parmi tous les jeux sortis jusqu’à présent, Suicide Squad : Kill the Justice League est bien le plus grand fiasco financier de 2024. Le studio l’avait admis, et Bloomberg fait le bilan du désastre.
Moins de six mois après sa sortie, qui se souvient encore du jeu Suicide Squad : Kill the Justice League ? Le dernier né de Rocksteady (Batman: Arkham Asylum) s’est pourtant fait attendre longtemps, et le studio promettait un titre très ambitieux. Nombreux étaient ceux qui avaient néanmoins senti venir la fraude (dès les premières images de gameplay) et ça n’a évidemment pas raté. Kill the Justice League s’est révélé médiocre. Pas abominable mais clairement décevant, et loin de valoir son prix exorbitant à sa sortie.
Après sept ans de production, Rocksteady s’est retrouvé à accoucher d’un GAAS (Game as a service) qui avait davantage pour objectif de vendre des battle-pass que d’être un jeu solo mémorable comme les Arkham. Tout ça en n’étant même pas un bon GAAS (il est techniquement daté et a une rejouabilité faible). Le résultat était donc prévisible. Le lancement de Suicide Squad a été une catastrophe et aujourd’hui le jeu est reconnu comme l’un des plus gros échecs financiers de 2024, notamment par le studio. Le journaliste de Bloomberg, Jason Schreier, a récemment fait le point sur cette histoire.
L’ORIGINE D’UN CATASTROPHE
Pour rappel, les pertes engendrées par le bide de Kill the Justice League sont estimées à 200 millions de dollars pour Warner Bros.. C’est ce qu’a déclaré son directeur financier durant le bilan de la dernière année fiscale. Une sacrée douche froide pour la compagnie qui voyait dans le modèle des GAAS un El Dorado il y a encore peu de temps.
En novembre 2023, David Zaslav (patron de Warner) affirmait en effet haut et fort que l’avenir des jeux Warner serait dans les GAAS. Ironiquement, trois mois après cette déclaration, Suicide Squad s’est révélé comme la plus probante démonstration du contraire.
Il faut toutefois admettre qu’au-delà de l’aspect GAAS du jeu, rien n’était fait pour qu’il réussisse. Depuis le départ, Kill the Justice League était voué à se planter, notamment car il a été conçu dans la douleur. Dans son enquête publiée le 6 juin, Jason Schreier a ainsi dressé l’anatomie d’une production plus que chaotique. D’après ses sources (toutes anonymes), Rocksteady n’avait pas l’ambition, à l’origine, de se lancer dans un nouveau jeu issu de l’univers Arkham, après avoir terminé le troisième opus en 2015. Il travaillait sur autre chose lorsque soudain, un jeu Suicide Squad leur a été imposé.
Un jeu suicide squad imposé par warner
Alors que les cofondateurs de Rocksteady, Jamie Walker et Sefton Hill, travaillaient sur un prototype de jeu de puzzle multijoueur nommé Stones, Warner a soudain décidé de changer leurs plans.
En 2016, les gros éditeurs commencent à flairer le potentiel des GAAS (l’arrivée de Destiny et le succès de League of Legends ont fait des jaloux) et les poussent à convertir leurs studios phares au développement de triple A multijoueur. Parfois pour le meilleur et souvent pour le pire. Un très bon exemple de ça : Electronic Arts, qui aura jeté Bioware (Mass Effect) sous le bus avec le ratage d’Anthem, tandis que Respawn s’en est mieux sorti en produisant Apex Legends. Les deux durant la même année, en 2019.
Bref, Warner a eu la même ambition et a ainsi choisi son chouchou, Rocksteady, en 2016, pour tenter de créer la poule aux œufs d’or. L’idée était donc de faire un jeu service hyper lucratif, en capitalisant sur l’une de leurs franchises les plus populaires : la saga Arkham. Bien évidemment il y a un énorme hic. Les équipes de Rocksteady n’avaient pas les compétences requises pour faire un jeu service (ils sont spécialisés dans les titres solos) et Warner n’avait pas non plus une vision très claire de ce qu’il souhaitait faire.
OPERATION SUICIDE
En trois ans de production, Suicide Squad n’aurait cessé de changer de cap et de concept. Des modifications constantes dans la direction artistique et les mécaniques du jeu auront ainsi généré de nombreuses frustrations parmi les développeurs. Et la mauvaise gestion du projet a fini par provoquer plusieurs retards, qui se sont accumulés.
Alors que Kill the Justice League devait être prêt en 2020, il sera repoussé une première fois pour 2022. Date à laquelle le jeu ne sortira pas non plus… mais qui marquera, en revanche, le départ des cofondateurs du studio, sans doute fatigués de cette arlésienne.
L’histoire de ce Suicide Squad semble très similaire à celle de l’autre déception de ce début d’année : Skull and Bones. Avec une production qui s’éternise bien trop longtemps, coûte trop cher et épuise le moral des troupes, les deux jeux auront été incapables d’aboutir à une forme finale satisfaisante. Au final, Kill the Justice League a donc débarqué en février 2024, avec l’espoir irréaliste que, malgré tout, son lancement puisse être une réussite. Ça n’a évidemment pas été le cas et la médiatisation de ce ratage est très mal tombée pour Warner.
Chute libre pour le studio warner
En avril 2022, le prix de l’action de Warner était à 26 dollars. Elle a chuté drastiquement en deux ans, atteignant un peu plus de 8 dollars, au moment de la publication de l’article de Bloomberg.
Et au milieu de nombreux soucis économiques (liés à une crise du cinéma et à la baisse des revenus publicitaires à la télévision), la section des jeux vidéo était censée être l’une des rares aubaines pour David Zaslav et ses investisseurs. En particulier après le succès incroyable de Hogwarts Legacy, qui s’est vendu à plus de 24 millions d’exemplaires en 2023.
Malheureusement, au lieu de rebondir sur la réussite du jeu Harry Potter, Warner s’est immédiatement planté avec l’échec de Rocksteady. Un échec entièrement dû à une ingérence de la part de l’éditeur, qui n’aura pas su utiliser son studio correctement et l’aura malmené pour la pire finalité.
Résultat : 200 millions de dollars de pertes. Désormais, Warner tente de se racheter en misant à nouveau sur les jeux solo (alléluia) et en capitalisant sur Hogwarts Legacy, leur principal atout. Une nouvelle version « director’s cut » du jeu Harry Potter vient d’être justement annoncée. Version sur laquelle travaille entre autres… Rocksteady ! Espérons que tout se passe bien, cette fois-ci.