Le Samouraï et le Shogun
Heureux hasard du calendrier, Rise of the Ronin sort simultanément à la diffusion de l’excellente Shōgun, nouvelle adaptation du roman de James Clavell. Bien que les deux histoires se déroulent à deux siècles d’écart, elles partagent un même sujet : l’irruption des grandes puissances européennes dans la politique nippone, avec ce que cela suppose de rapports de prédation et de mouvements de défense. Thème intéressant à une époque où la culture japonaise est réinvestie par le divertissement américain avec bien plus de considération qu’autrefois.
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Outre l’évolution de Shōgun, Ghost of Tsushima, développé par Sucker Punch, se voulait être une lettre d’amour respectueuse adressée au cinéma japonais, en particulier à la filmographie de Kurosawa. Les deux tentatives ont connu un succès critique indéniable et un succès populaire probable dans le premier cas, avéré dans le second. Studio local, la Team Ninja compte bien s’inviter à la fête et prendre à bras le corps les liens entre Occidentaux et Japonais, ceux-là mêmes qui sont en train de conquérir le coeur des joueurs et plus largement du très grand public, bien au-delà des niches de passionnés.
Et on conseille le doublage japonais, très bon
Bien entendu, ce n’est pas la première fois que la culture populaire s’empare des rapports pour le moins conflictuels entretenus par les deux mondes, a fortiori au sein du jeu vidéo, art en bonne partie issu de la péninsule. Mais Rise of the Ronin assume son approche comme peu avant lui en situant son action à la fin de l’ère Edo, à une période où le shogunat s’accommode des influences extérieures, dans un bordel politique et social intitulé guerre de Boshin. Un terrain de jeu « hideux et sombre » selon la Team Ninja, auquel leurs concurrents n’osent pas s’attaquer et qui présente pourtant pas mal d’opportunités.
Et vous n’avez pas vu le français
Anarchie relationnelle
En termes de gameplay et de level design, cela permet de densifier un peu la formule du RPG en monde ouvert, avec ses traditionnelles zones à nettoyer, babioles à aller chercher à droite à gauche (des chats dans ce cas, donc on pardonne) et arbres de compétence bien définis. La nature hybride du contexte historique offre au joueur la possibilité de parcourir différentes villes, mais aussi forts français ou américains, d’intégrer à son arsenal plusieurs armes occidentales, notamment quelques armes à feu, et de croiser toutes sortes de personnages plus ou moins hostiles au shogunat et à sa politique d’ouverture sur les puissances étrangères.
Paradoxalement très différent des thématiques à l’ancienne de l’américain Ghost of Tsushima, le japonais Rise of the Ronin voudrait raconter cet écart entre les envies occidentales et la résistance populaire autochtone, mais surtout la complexité des intrigues entre les deux. Intrigues dans lesquelles il balance le joueur grâce à un système d’arborescences et d’allégeances qui va vite devenir incontrôlable, symbole de la confusion martiale et culturelle régnant alors. On se retrouve souvent face à des choix politiques impossibles. Il n’y a pas de bon côté, a fortiori dans un dernier acte qui court-circuite la structure narrative classique du jeu vidéo grand public pour aborder les subtilités de l’Histoire.
Un parti pris aussi malin que riche narrativement, arrivant donc à point nommé dans l’industrie. Du moins, en théorie. Car en pratique, cet aspect n’est pas très réussi. Qu’importe la technique, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et qui n’a jamais été le point fort du studio. Le vrai problème, c’est que celui-ci se montre pour le moins… prolixe. Noyé sous le loot, les missions et surtout les personnages secondaires, le joueur finit par se perdre dans ses choix, ses dilemmes et surtout ses relations avec le demi-million de troufions contribuant à la crise politique en cours, avec qui il lie des amitiés qu’il oubliera tout aussi vite.
Impossible de ne pas relever l’ambition de la Team Ninja, qui tente d’esquiver le manichéisme et les archétypes qui lestent parfois le jeu vidéo historique, d’ajouter de nombreuses nuances à la question de l’identité de leur pays, particulièrement remise en question à ce moment de l’Histoire. Le tout avec à l’esprit cette belle idée, formulée par l’un des protagonistes en guise de conclusion avant l’affrontement final : en définitive, tout dépend des liens qu’on tisse. Soit un parti-pris typiquement vidéoludique. Dommage donc qu’il soit gâché par une sensation de trop-plein qui détourne intellectuellement et émotionnellement le joueur.
Ce n’est pas une tour à grimper, mais presque
Le règne du sabre
Ironiquement, alors qu’il tente de dépeindre l’irruption de la modernité, c’est bien lorsqu’il traduit en gameplay une certaine tradition que le jeu réussit à peu près ce qu’il entreprend.
Oui, la formule de la Team Ninja n’a pas complètement changé et pâtit de scories d’un autre âge, notamment en termes d’IA (les ennemis qui ne bronchent pas quand on démembre bruyamment leur collègue 3 mètres à côté d’eux) et donc de pathfinding (non contents d’être sourds, ils sont aveugles). De même, la plupart des grosses missions s’avèrent assez répétitives : on débarque dans un quelconque bâtiment important, on trucide plutôt facilement une quinzaine de sous-fifres anonymes parmi lesquels deux ou trois gros costauds, puis on rencontre un boss qui va nous donner du fil à retordre, surtout s’il a envie de se battre près d’un mur, auquel cas la caméra aura une furieuse envie de remaker L’Aventure Intérieure.
Ah oui, il y a un mode co-op en ligne, mais on est trop pauvres pour avoir le PS+
Toutefois, le combat est toujours aussi addictif, exigeant et carrément jubilatoire quand on parvient à parer parfaitement un enchainement complet. Le principe reste similaire : en plus d’une barre de vie qui fond comme la population d’un village exposé au choléra, il faudra faire particulièrement attention au Ki, barre d’endurance se vidant aussi bien quand on reçoit des coups que quand on en assène. Car une fois celle-ci à zéro, il ne reste plus qu’à serrer les fesses. Les ennemis obéissent aux mêmes règles : épuiser leur ki permet de leur porter un coup dévastateur, et pour ce faire, contrer à quelques frames près leurs attaques est essentiel.
Le niveau de concentration nécessaire renvoie un peu aux jeux From Software, influence d’ailleurs assumée puisque les développeurs ont intégré un système de vengeance, qu’il convient d’accomplir pour récupérer l’expérience perdue. C’est ainsi que Rise of the Ronin recoupe le mieux la culture qu’il met en scène: comme la fin de Ghost of Tsushima ou bien évidemment le monument de difficulté Sekiro, il adapte son gameplay à la philosophie animant le chanbara, le film de sabre japonais.
Il laisse au joueur le choix des armes, mais le force à alterner entre différentes écoles, comme dans un Baby Cart dont vous êtes le héros. Et surtout, il privilégie la réflexion, le temps long, cet instant suspendu où les deux bretteurs se toisent, anticipant le moment crucial où les fers croiseront, suffisant parfois à sceller le destin de l’un d’entre eux. À l’image d’une organisation politique en clans qui se regardent en chiens de faïence, complètement chamboulée par les influences extérieures. C’est toujours lorsqu’elle laisse les lames s’exprimer que la Team Ninja est la plus éloquente. Ça tombe bien, c’est surtout pour ça qu’on achète ses jeux.
Rise of the Ronin est disponible depuis le 22 mars 2024 sur PS5.
Excellent jeu, dommage que la narration bordélique et le nom exceptionnel de PNJ avec qui tu te lies d’amitié rend le tout confus.
Gameplay génial par contre, exigeant et satisfaisant, rien de mieux que de parry toutes les attaques d’un gros boss