Bande dessinée

Convoi : quand la BD revisite Mad Max et Friedkin

Par La Rédaction
7 septembre 2022
MAJ : 21 mai 2024
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Alors que Metal Hurlant renaît de ses cendres, Soleil publie Convoi, roman graphique imprégné de la crème de la science-fiction internationale.

Convoi : photo

Les planètes s’alignent parfois curieusement. Alors que le cultissime magazine Métal hurlant est en pleine renaissance, Soleil publie Convoi, roman graphique aussi apocalyptique qu’imprégné des heures les plus glorieuses du légendaire creuset de la science-fiction internationale. 

Au début des années 70, dessinateurs et éditeurs de génie se rassemblent pour créer une publication qui va rapidement sidérer le monde entier, inspirer le cinéma international et en particulier celui de science-fiction. Si les délires graphiques et scénaristiques de l’époque ont contribué à renouveler les imaginaires de la bande dessinée et du 7e Art, les retrouver convoqués avec autant d’énergie et d’appétit tient d’un petit miracle. 

 

Convoi : photoFunny and Pride

 

ON MAD UN MAX 

Bienvenue dans une France en proie au chaos aux côtés d’Alex, jeune guerrière au volant de son truck de combat, guidant un convoi chargé de médicaments, entre Le Havre et Marseille, au travers d’un territoire contaminé où le réchauffement climatique a anéanti toute idée d’humanité. Où règne la violence brute et où l’amitié, l’amour, la folie n’ont plus de repères… 

Voilà pour le point de départ de Convoi, épopées aux références aussi délectables qu’évidentes, et dont la toile dense prend la forme d’un dialogue nourri, souvent explosif. Pour un peu, l’enchaînement des premières cases, où s’entassent aussi bien les griefs contre l’incurie des humains, que l’écho des catastrophes engendrées par eux, évoquerait presque le légendaire générique de Soleil vert. On y découvrait, à la faveur d’un montage d’abord ample puis de plus en plus elliptique et angoissant, l’évolution de la société industrielle vers un monde de consommation, de progrès et de puissance, avant que l’abondance ne se mue en un cycle entropique ultraviolent. 

 

Convoi : photoSur la route encore

 

Le ton est donné. Après cette brève introduction, le scénario est rapidement posé, au cours d’une exposition prenant la forme d’un dialogue rondement mené : nous voici à bord d’une horde nécessairement sauvage, chargée de transporter une précieuse cargaison. Ici, on fait du pied aussi bien à Mad Max qu’au Sorcerer de William Friedkin, l’énergie féroce du premier renvoyant au désespoir ricanant du second. 

Tout le monde est sacrifiable, et quand nos anti-héros prennent la route, personne n’ignore que peu d’entre eux passeront la ligne d’arrivée, n’en déplaise à ceux que leur existence de routiers de fortune a déjà éprouvé. Au milieu de vastes planches détaillant les ruines d’une France industrialisée jusqu’à l’assèchement, c’est bien le style du dessinateur Jef et du conteur Kevan Stevens qui se fait jour. 

 

Convoi : photoLa Boum 3

 

METAL PLANANT 

Les références du duo ont beau être écrasantes, Convoi esquive le risque de l’agrégat de citations pontifiantes en abordant son univers avec un réjouissant mauvais esprit. Tout d’abord, si ce récit peu avare en boyaux et autres intériorités répandues nous permet de revisiter plusieurs plans de la SF post-apocalyptique mais aussi du cinéma en général, la bande dessinée veille perpétuellement à les relier entre elles, pour mieux les relire avec un mauvais esprit typiquement européen. 

Une évidence dans l’écriture des dialogues, dont on pourrait s’étonner de prime abord qu’ils citent à la volée quantité de sujets ou polémiques sociétales agitant de nos jours réseaux sociaux et énervés en tout genre. Mais on comprend rapidement que les auteurs ne sont pas là pour surfer avec opportunisme sur l’écume de l’époque. Plutôt pour rire avec acidité de leurs personnages, de leurs angoisses, de leurs métamorphoses et de leurs limites évidentes. 

 

Convoi : photoPar tous les seins !

 

Par conséquent, il n’est pas rare de retrouver, au détour d’un dialogue ou lorsqu’une case laisse tel ou tel protagoniste livrer au lecteur toute l’étendue de sa fureur, la sève malfaisante du génial Joël Houssin. Essentiellement connu pour être le créateur du mythique Dobermann, saga pulp démente et longtemps censurée en France, l’écrivain fut aussi une des plumes les plus acérées de la SF française. Et c’est avec délectation qu’on retrouve sa malice, ses personnages croqués à coups d’outrances et de tendresse, jusque dans leurs destins, tantôt effroyables, tantôt pétris de joliesse. 

Avec une excitation inattendue, on se prête ainsi au jeu des souvenirs, tandis que les relents d’Argentine, L’autoroute du Massacre, et plus encore Loco, rêverie qui anticipait sans le savoir les folies d’un Mad Max 2 : Le Défiaffluent, composant un univers post-apocalyptique aussi revèche que riche. Toutes ces créations hexagonales tapissent l’inconscient de Convoi, et dopent son plaisir de lecture. 

Nul doute que Kevan Stevens s’est suffisamment imprégné de ses classiques pour leur offrir une relecture enamourée. Mais le présent récit constitue sa seconde collaboration, après Mezkal, avec Jef, et celui-ci fait également preuve d’une belle réussite au dessin. 

 

Convoi : photoL’apocalypse, mais bien

 

ROADKILL 

Au premier regard, il n’est pas interdit d’être interloqué par les traits fins de l’illustrateur, qui évoquent plus d’une fois la légèreté d’un travail crayonné, que souligne impeccablement sa gamme chromatique, très loin de l’épate qui accompagne souvent les romans graphiques actuels, désireux de donner à leurs représentations dystopiques une patine spectaculaire. Souvent désaturées, laissant la part belle aux nuances délavées d’un monde dont la vie reflue inexorablement, la fausse pâleur des planches de Convoi évoque autant les grandes heures du western que les souvenirs en noir et blanc des plus belles heures de la SF européenne. 

 

Convoi : photoAu moins, il y a de jolis paysages

 

Y compris quand le graphisme s’aventure dans des terrains balisés, tel l’épiphanie sectaire de Cole, ou la sexualité conquérante d’Alex, jamais il ne perd l’équilibre entre la référence digérée et le plaisir de faire découvrir à une nouvelle génération de lecteurs un art du récit à l’ancienne. Jef est un homme de peu de traits, y compris quand il illustre des séquences intensément spectaculaires, aussi le sentiment que toujours la bande dessinée va à l’essentiel est-il plus évident à chaque page. 

Enfin, le soin qu’il apporte à la caractérisation de ses personnages, le plaisir évident que prend le dessinateur à marier des physiques impossibles, renvoie directement à un certain RanXerox, pilier de la BD énervée. Evidemment Convoi n’a pas la prétention de se mesurer aux plus grands maîtres. Il poursuit leur voie et permettra aux nouveaux venus de l’emprunter, et c’est déjà énorme.

Ceci est un article publié dans le cadre d’un partenariat. Mais c’est quoi un partenariat Ecran Large ? 

 

 

Le Convoi : photo

 

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