LA GUERRE DES ÉTOILES
Dans un univers proche du nôtre, l’humanité a ravagé la Terre en exploitant ses dernières ressources et s’est tournée vers un autre territoire, l’espace, qu’elle pille et détruit avec la même avidité. La conquête spatiale a perdu toute sa splendeur, tout son mystère, et ne représente plus qu’un enjeu économique et énergétique que se disputent des corporations pour prendre le contrôle des ressources et des planètes, qu’elles colonisent et terraforment pour poursuivre leur expansion effrénée.
Tandis que de grands groupes industriels s’enrichissent en exploitant débris, minerais et toutes les ressources spatiales possibles jusqu’à épuisement, le quotidien des petites gens qui habitent les stations orbitales se résume à un travail ingrat et une capsule étriquée parmi des centaines d’autres. Dans cette ruée vers l’or des étoiles, le scénario suit le parcours de trois personnages : Ji-Soo, une ingénieure désenchantée, Alex, un ouvrier né dans l’espace, et Camina, une ancienne mercenaire, chacun devenu un outil de ce capitalisme sauvage et aliénant, qui engendre pollution, catastrophes et désillusion.
Nourri de plusieurs influences, Guillaume Singelin met en scène un monde futuriste aussi dense que fascinant, qui puise son inspiration dans différents genres, concepts et supports, du western au manga Planètes de Makoto Yukimura en passant par le jeu vidéo, la télévision ou le cinéma. L’atmosphère se rapproche directement de la conquête de l’Ouest, alors que l’esthétique évoque des oeuvres de science-fiction comme Alien, Seul sur Mars ou Battlestar Galactica, et une scène d’abordage de vaisseau par des mercenaires emprunte autant aux attaques de trains qu’aux films de guerre et à Gravity.
Assumant pleinement ses références et citations, l’auteur et artiste parvient cependant à renouveler cette vision familière de la science-fiction avec ses mignons petits personnages et sa patte graphique bien particulière, entre comics et manga, qui apporte instantanément un aspect touchant et lumineux à son trio et son histoire. Malgré la dureté de son univers et son approche réaliste, Frontier se distingue assez rapidement par sa richesse visuelle et thématique, mais surtout par l’humanité de ses personnages.
PERDUS DANS L’ESPACE
À l’instar de Jun dans P.T.S.D., Ji-Soo, Alex et Camina évoluent à part, marginalisés ou désabusés par ce monde qui brise leurs rêves et leurs ambitions. Tandis qu’ils prennent peu à peu conscience de la vacuité de leur existence et des injustices de leur société, ces trois personnages décident d’abandonner leur condition et de se libérer de ce système oppressant et cruel qui les étouffe pour partir en quête d’une nouvelle vie, d’un autre idéal.
Loin du space opera et des épopées spatiales cosmiques, Frontier est un récit d’émancipation universel, une aventure humaine introspective où chacun tente, tant bien que mal, de trouver sa place en s’interrogeant sur son rôle, ses aspirations, et la façon dont ils peuvent redonner un sens à leurs actions et leur existence.
Si les préoccupations écologiques, économiques et morales du futur qu’il décrit trouvent une étrange résonnance avec les réalités d’aujourd’hui, à travers des sujets comme les conditions de travail des ouvriers, les inquiétantes dérives du capitalisme, les expérimentations sur les animaux ou encore l’exploitation irrationnelle des ressources, pour autant, le récit ne se veut jamais moralisateur ou radicalement politique.
La narration, qui reste constamment à échelle humaine, progresse en passant d’un décor à un autre, comme plusieurs tranches de vie qui s’enchaînent. L’histoire propose quelques scènes d’action dynamiques dans l’espace et ailleurs, mais aussi de longs temps de silence et de repos entre deux sorties spatiales, où transparaissent les rêveries, les déceptions et les relations que partage cet attachant trio.
Seul en orbite
Alors que ces trois personnages se frayent un chemin dans cet univers infini et souvent hostile, les environnements et les planètes qu’ils parcourent prennent vie dans des planches magnifiques. À l’inverse des décors froids et labyrinthiques des stations spatiales, où les occupants s’entassent littéralement dans de minuscules cases entre les câbles, les machines et tout un tas d’éléments, les paysages naturels sont des respirations délicates, des moments intimistes tranquilles et sublimes, où les personnages se rapprochent les uns et les autres et se reconnectent avec qui ils sont.
Un voyage à pied directement inspiré de Death Stranding sur une planète appelée Minerve s’étale ainsi sur plusieurs pages dans une atmosphère contemplative à la fois mélancolique et poétique, qui se retrouve également dans les liens que développent Ji-Soo, Alex et Camina à mesure qu’ils avancent côte à côte.
Life moving
LE MEILLEUR DES MONDES
Durant ce voyage introspectif au milieu de l’espace, Ji-Soo, Camina et Alex se retrouvent poussés jusque dans leurs retranchements et découvrent leurs limites physiques, psychologiques et morales. Mais plutôt que d’appeler à les repousser pour accomplir leur but, Frontier raconte pourquoi il faut les accepter en faisant preuve de résilience, de bienveillance et de respect.
Malgré les défis et les difficultés auxquels ils sont confrontés, les personnages développent une complémentarité et une solidarité qui se retrouve également parmi les communautés qu’ils croisent sur leur route, que ce soit l’équipage d’un briseur d’astéroïdes, ou une tribu de colons exilés qui accepte la réalité telle qu’elle est et s’accommode de son train de vie nomade sur une planète isolée.
Les relations touchantes et sincères qui se nouent délicatement entre les membres du trio finissent par constituer le coeur du récit, et tous les trois finissent par évoluer, s’adapter, et avancer en comptant les uns sur les autres, peu importe les aptitudes, les faiblesses de chacun et chacune.
Faire avec ce qu’on a, et continuer d’y croire
Ce discours positif et inspirant tranche avec la vision habituellement pessimiste et fantasmée de la science-fiction où le héros doit se dépasser pour accomplir ses rêves. Et c’est cet optimisme et cette simplicité émanant des personnages et des dessins qui touchent en plein coeur et rendent ce récit aussi beau que touchant.
Si le présent est peu radieux, le futur n’a pas forcément à l’être, et le changement passera forcément par un effort aussi bien collectif qu’individuel. Face aux injustices et au doute, Guillaume Singelin prône des valeurs humanistes et universelles comme l’entraide ou le respect de soi et de l’autre. La solution, si elle existe, passera par un idéal collectif, une utopie où chacune trouve la place qui lui convient et où tout le monde agit pour le bien commun.
Avec délicatesse, intelligence, mais aussi une petite part de candeur, Frontier montre qu’un autre avenir est possible, ensemble, et rien que pour ça, c’est une merveilleuse bande dessinée de science-fiction.
Frontier est disponible depuis le 12 avril chez le Label 619 aux éditions Rue de Sèvres
Hello,
Je viens aussi de finir Frontier de Singelin et j’ai adoré. Une des meilleurs BD de SF que j’ai pu lire. Ces tons pastels, ce côté enfantins m’ont charmé, malgré le sérieux du message.
Je vais aller lire son autre BD, PTSD !
Je te propose ma critique sur mon blog : https://nicolasforcet.com/critique-bd-frontier-par-guillaume-singelin/
Hop ça passe en commande. Ça a l’air vraiment top.
que je manquerai ave joie
Franchement ça fait envie, merci pour la découverte !
Extraordinaire BD
Il y a rien à jeter sur le Label 619.