C’est le 10 avril que le putrescent Simetierre viendra asperger nos salles obscures de sang tiède. L’occasion était trop belle de revenir sur le génial livre de Stephen King.
Publié initialement en 1985, Simetierre est progressivement devenu un emblème du maître de l’horreur, considéré comme un de ses plus grands textes. Peu importe que son auteur, qui ne voulait pas le publier et n’en aura fait usage que pour régler un conflit l’opposant à un éditeur qu’il voulait quitter. Pour le lecteur, le choc est total.
Voyons ensemble pourquoi l’oeuvre est-elle si radicale et représentative du style de King, mais aussi comment aucun des films n’a osé tout adapter de ce conte amoral et impitoyable.
ATTENTION SPOILERS DE LA MORT !
UN RÉCIT RADICAL
Stephen King n’est pas connu pour épargner ses lecteurs, mais Simetierre constitue un point culminant dans sa construction de l’horreur, tant le romancier s’efforce de saper toute zone de confort pour le lecteur. Signe du cauchemar nihiliste qui s’apprête à nous fondre dessus : le texte partage avec Cujo une figure particulière, celle d’un sombre prophète.
Le motif d’un personnage ou d’une entité mettant en garde les personnages contre un lieu ou une créature est un stéréotype parmi les plus classiques du genre fantastique, mais demeure relativement peu usitée par l’auteur, et cet effet sert ici non pas à identifier une menace, mais à annoncer une issue mortelle.
Dans Cujo, le jeune Tad, promis à un des destins les plus funestes de toute l’œuvre de King, échange avec un « monstre du placard », qui confère rapidement au texte un tour aussi sombre que désespéré. C’est un procédé qui rappelle, en plus sobre, celui à l’œuvre dans Simetierre, lorsque le personnage principal assiste dès son premier jour de travail à la mort violente d’un jeune homme, Victor Pascow, le crâne défoncé à la suite d’un accident de voiture.
Sorte de Pythie infernal, le garçon apparaîtra régulièrement à Louis, le héros, plus pour lui signifier l’inéluctabilité de son sort que tenter de le protéger. Le sentiment produit par chacune de ses interventions dans le récit est extrêmement troublant, son aura participant à faire du Simetierre une force insurmontable et omnisciente.
Mais Stephen King ne se contente par de truffer son texte d’inquiétants présages, il s’efforce aussi de saper toutes les zones de confort typiques de ses travaux. Pour noir et terrifiant que se révèlent les travaux de l’écrivain, on y retrouve presque systématiquement certaines zones de confort, comparables à ces espaces sécures au sein d’un survival horror, autorisant le joueur à souffler. Les relations de mentorat, les rapports intergénérationnels et les rapports de transmission sont traditionnellement des éléments très positifs dans la littérature de King.
Jusque dans Shining, où la famille n’apparaît jamais comme un refuge, on peut trouver le personnage de Dick Hallorann. Connaissant les dangers de l’hôtel Overlook et du Shining, il permet au lecteur, frissonnant devant le tourbillon cauchemardesque qui se déploie, de penser à un personnage capable de comprendre, voire de maîtriser les troubles à venir.
Un décor plutôt fidèle aux descriptions du maître
Ce rôle devrait logiquement être tenu par Jud. Ce vieil homme, voisin de Louis Creed va faire dans un premier temps office de père de substitution. C’est d’ailleurs à cette relation positive que sont consacrées les premières lignes de Simetierre. Mais ce lien ne sert finalement qu’à introduire une nouvelle forme de peur, Jud étant manipulé par le Wendigo, et amenant la désolation au cœur du foyer Creed.
Dès lors, l’ultime barrière que constitue la famille est amenée à sauter, ne laissant aucun espoir au lecteur, qui ne peut plus désormais que progresser le long d’un récit qui ne lui épargnera plus rien jusqu’à sa dernière ligne.
De 1989 à 2019, de sombres échos hantent le Maine…
Et c’est peut-être cette radicalité, mélangée au fait que Stephen King a, comme rarement, choisi d’injecter des éléments biographiques dans le récit (l’histoire de Church, les dialogues traitant du deuil avec les enfants, la description de la maison et du cimetière), qu’il le déteste autant. Dans une toute récente interview à Entertainment Weekly, l’écrivain a expliqué combien son œuvre le répugnait, bien trop saturée de deuil à son goût, et faisant appel au pire chez le lecteur.
« Tout ça me fait penser à ce qu’aurait un jour prononcé P.T. Barnum : personne n’a jamais fait faillite en sous-estimant le mauvais goût du peuple américain. Je crois que la mort est un mystère, et les gens prennent leur pied à l’idée de lever un peu le voile… »
LA QUINTESSENCE DU KING
Le style de Stephen King a révolutionné la littérature horrifique anglo-saxonne. Et pour cause, son approche du genre a retourné les fondations conçues par ses plus illustres prédécesseurs. Si King voue un grand amour à Lovecraft, c’est peu dire qu’affirmer qu’il en a dézingué les principes. Le génial créateur de Providence est en effet resté dans l’histoire comme l’inventeur d’une angoisse de l’indicible, le portraitiste de monstruosités toujours « indescriptibles », très éloignées des seuils de perception humains.
Avant lui, Edgar Allan Poe avait également privilégié un suspense évocateur plus que révélateur, et après, ce ne sont pas leurs successeurs qui bouleverseront cet état de fait. Shirley Jackson (The Haunting of Hill House) ou encore Ira Levin (Rosemary’s Baby), s’ils vont écrire des chefs d’œuvre d’angoisse, donneront toujours à l’horreur une aura de mystère, préférant user de l’imagination du lecteur, du hors-champ dirait-on en cinéma.
Stephen King va, et ce dès Carrie, faire exactement le contraire. Le surnaturel, les bébêtes baveuses et autres atrocités jaillissent toujours face aux personnages, sont décrites avec moult détails, et se retrouvent fichés dans notre esprit pour y laisser une marque indélébile.
Qu’il décrive la glaire cervicale suppurant d’une blessure, le corps tordu d’un chat écrasé par un camion, la mine d’outre-tombe d’un vétéran revenu à la vie ou les chairs putrescentes d’un enfant revenu d’entre les morts, Stephen King fixe l’infamie dans les yeux. Impossible de détourner le regard, tant l’écrivain nous oblige à scruter longuement des tableaux abominables.
Deux versions de Jud, mais une même corruption à l’oeuvre…
Les longues descriptions du cimetière indien et de la route y menant constituent presque une nouvelle indépendante, vertigineuse et opératique, où la nature semble dominée par une entité surpuissante, qui la soumet, la tord et la transforme. Ces pages comptent sans doute parmi les plus maîtrisées et puissantes jamais écrites par le romancier.
Encore une petite fille qui se néglige !
LES DIFFÉRENCES
Ne croyez pas qu’avoir regardé le film de Mary Lambert ou la nouvelle version de 2019 vous ait dévoilé l’intégralité des rebondissements du chef d’œuvre de Stephen King, certains éléments n’ayant jamais été adaptés.
Bien sûr la plus grosse différence semble être la victime du camion qui poussera Louis à retourner dans le cimetière indien. Dans le nouveau Simetierre, ce n’est plus Gage qui est transformé en pâte de fruit, mais sa grande sœur et propriétaire du chat Church. Comme King l’a déjà expliqué plusieurs fois, cette modification permet de caractériser plus précisément le petit monstre à venir et préserve le film d’un doublage hasardeux du personnage de Gage.
Mais à bien y regarder, cette transformation est essentiellement cosmétique, puisqu’elle ne modifie pas en profondeur (à l’exception des ultimes minutes du métrage), l’orientation du récit. Elle permet surtout à ce remake de se différencier de la version précédente, tout en conservant une trame et des étapes reconnues.
Jason Clarke n’en mène pas large
Mais il y a un élément fondamental que les deux versions préfèrent laisser de côté : le Wendigo. Cité assez précisément dans le film de Kevin Kolsch et Dennis Widmyer l’entité mythologique issue du folklore Algonquien était absente de la précédente adaptation, et est au cœur du texte originel. Le Wendigo est une puissance démoniaque, qui influence, manipule ou contrôle les hommes, les poussant ultimement à se livrer au cannibalisme.
Dans le roman, il est nommé et influe directement sur le cours de l’histoire, jusqu’à s’imposer comme une véritable présence physique veillant sur Louis Creed.
De même, la gradation de l’horreur est assez différente dans le roman. Les deux films reprennent certes le témoignage de Jud, évoquant le chien qu’il a ressuscité avant de devoir l’abattre, mais ils oublient deux données essentielles. Jud racontera aussi une monstrueuse anecdote, ou comment un homme de Ludlow a entrepris dans les années 40, de ressusciter son fils tombé au champ d’honneur. Mais ce dernier, sous une forme malveillante, est à l’évidence contrôlée par une puissance inhumaine.
Un petit chemin qui sent la noisette
Le récit est un des moments les plus forts du roman, car il établit clairement que le Simetierre est un lieu mauvais, maléfique, qui ne se contente pas de ramener à la vie des formes « amoindries » de ceux qui y sont exhumés. Enfin, c’est l’occasion pour King d’établir un élément qu’il retravaillera très peu de temps après, dans le merveilleux Ça : le concept de cycle.
Le lieu devient de plus en plus puissant et maléfique, selon un cycle qu’ignore Jud mais dont il ressent les effets. Il y a dans ce concept une idée assez forte, celle du Mal comme d’un principe vital actif, mû par des phases de rétractation et des phases d’expansion, placé sur un niveau d’existence qui nous le rend naturellement incompréhensible. Incompréhensible et invincible.
On espère que ces quelques lignes sur un des très grands romans de Stephen King vous auront donné envie de (re)lire ce joyau noir ! La nouvelle adaption du livre sort au cinéma ce 10 avril 2019.
Quand on voit tous les livres de King adaptés, je rêve de voir à l’écran les livres de Graham Masterton sur la mythologie indienne… il y a un potentiel ENORME!!!!!
En tout cas cet excellent article m’a donné envie de re relire le bouquin prés de 30 ans aprés l’avoir lu initialement en me couvrant d’urine toute les 3 pages.
Masterpiece litteraire, la première adaptation de Mary Lambert est inégalable et bien que la seconde adaptation soit sympa sur ses trois quarts. Elle devient complétement crétine et destinée au 15/ 25 ans sur ses 20 dernières minutes avec le côté yeaaaarrar badass limite gang des revenants et leur extraordinaire facultée de se téléporter ou de taper des sprints dignes de Flash, du style un coup je suis en bas, deux secondes aprés je suis en haut dans le cimeterre mic mac, deux secondes après je suis de retour en bas. Et qu’on ne me parle pas d’ellipses temporelles pour faciliter la diégèse du film, cela reste une grave erreur. Du coup vu le délire de la fin limite digne d’être un passage de Santa Clarita Diet je me demande franchement si Paramount n’aurait pas plutôt dû pondre un pseudo Pet Semetary 3 qui reprend le côté Grand Guignol assumé du 2 et le co^té glauque du 1.
Très bonne analyse mais je me demande combien de spectateurs vont faire l’effort de lire le livre après avoir vu le film. Je me souviens dans les années 80/90 après la sortie d’un film ou la diffusion d’un téléfilm adapté d’un Stephen King, les libraires et le coin culture des centres commerciaux étaient pris d’assaut(il fallait voir la Stephen King mania au début des années 90). Depuis les années 2000, j’ai pas vraiment l’impression que les jeunes ont une curiosité pour l’auteur qui vont plutôt voir un énième film d’horreur. Certains ont quand même découvert Shinning grâce…à Ready Player One.
lu à 14 ans, mon premier King.
Bizarrement je ne l ai jamais relu contrairement à d autres de ses œuvres (Ça, Les tommyknokers, Shinning…), pourtant je l ai beaucoup … Aimé ? Je ne sais pas, mais il m a tellement traumatisée a l époque… Je n’ étais pas une grande lectrice, à vrai dire je n’ aimais pas lire du tout, Simetierre a été pour moi une révélation.
Du grand King, à ne pas douter.
Lu à 12 ans, traumatisé pour la vie…. je confirme que c’est bien l’un de ses romans les plus extrêmes. Bel article.