Dans le reste du monde, c’est un classique, et en France, une petite révolution. Le Livre des Martyrs de Steven Erikson débarque enfin chez nous en poche.
Un premier tome impressionnant
LE SAIGNEUR DES ANNEAUX
L’ambitieuse saga imaginée par Steven Erikson s’est imposée comme un des grands chocs de la fantasy moderne. Son premier tome, publié en 1999, a enclenché un phénomène international achevé avec la parution du dernier opus en 2011. Ce sont plus de 3,5 millions d’exemplaires qui auront été vendus en un peu plus de deux décennies. Le Livre des Martyrs s’est ainsi imposé comme la première fresque du genre du XXIe siècle, malgré un relatif anonymat en France.
En effet, dans l’Hexagone, dont les institutions culturelles ne sont pas toujours totalement acquises aux atours d’un genre qui demeura longtemps considéré comme une sous-production pour post-adolescents à l’hygiène discutable et à la pilosité encombrante, les textes d’Erikson sont nettement moins connus. La faute à une publication plus erratique que sur d’autres territoires, à plusieurs traductions se faisant concurrence. Des aléas de traduction qui auront concouru à brouiller pas mal les pistes jusqu’à ce qu’en 2018, la saga renaisse sous la forme d’une première réédition grand format.
Avec sa parution le 24 janvier au format poche, c’est un raz-de-marée d’épopées, de sorts et de massacres, terribles ou glorieux, qui s’apprêtent à déferler sur des hordes de lecteurs affamés. Car il faut bien le dire, l’œuvre en question n’a pas usurpé sa réputation d’assaut en règle sur les stéréotypes du genre, grâce à une densité, une richesse et une puissance évocatrice sans commune mesure. Une richesse palpable dès la quatrième de couverture :
Dans un monde qui a vu naître et disparaître d’innombrables races et civilisations, l’empire malazéen étend implacablement sa domination, soumettant des continents entiers les uns après les autres, grâce à la discipline de ses armées et la supériorité de ses mages de guerre. Mais la loyauté de ses soldats, abandonnés et trahis par leur impératrice, est mise à rude épreuve. Perdus, abandonnés et déchus, les fidèles de l’empire vont devoir tenter de survivre, entre sacrifices et dangers mortels.
Un complot bien plus vaste se joue en toile de fond. D’anciennes forces terrées dans l’ombre semblent se réveiller, prêtes à tout pour regagner leur splendeur passée. Regroupés sous la coupe du jeu des dragons, dieux et ascendants, sorciers et chamans, Eleints et changeurs de formes, tirent les ficelles d’un drame qui, transcendant les conflits des simples mortels, se joue à l’échelle du temps lui-même.
Avec un enjeu de taille : la suprématie totale.
Tout un programme.
À LA GUERRE COMME À LA GUERRE
Steven Erikson est anthropologue et archéologue de formation, et cela se sent dès l’ouverture des Jardins de la Lune, premier tome, alors que le fils d’une grande maison marchande, Ganoes Stabro Paran, accompagnant son père en voyage d’affaires, observe, interdit, les stigmates d’un combat meurtrier au sein d’une cité se déployant sous ses yeux. En une poignée de pages, Erikson capture les liens complexes qui unissent les tenants et aboutissants d’un conflit entamé des siècles avant le début du roman.
Et à l’enfant d’échanger avec quelques soldats fourbus, manifestement rompus aux aléas d’une guerre coûteuse en vies humaines, autant que pourvoyeuse de mages, manifestement susceptibles de ravager des cités entières. Il n’en faut pas plus à l’auteur pour nous donner à voir un entremêlement subtil de classes sociales, de rangs, et des enjeux géopolitiques ou sociaux d’une ampleur encore difficilement soupçonnable. Ce sentiment de dévoilement, aussi difficile à engendrer que périlleux à satisfaire durant le millier de pages qui suivent.
Une aventure qui ne manque pas de style
On se souvient qu’avec Game of Thrones, George R.R. Martin avait su narrer un récit aux nombreuses ramifications en s’appuyant sur de très nombreux personnages. Une démarche que reprend l’écrivain pour la démultiplier. Au gré des chapitres, ce sont désormais des dizaines de protagonistes qu’égraine le récit, avec toujours une capacité renouvelée à capter notre attention. Toujours caractérisés avec une redoutable précision, ils occupent instantanément la page, attirent l’esprit pour ne plus le quitter. Nuancés, contradictoires, ils inoculent au récit un sentiment de réalité prégnant, confèrent à l’ensemble, même lors des plus spectaculaires joutes ou délires mystiques, une concrétude qui emporte tout.
Aussi vaste, surréaliste et surnaturel s’avère-t-il parfois, l’empire Malazéen demeure perpétuellement palpable, ses rapports de hiérarchie et ses options politiques sont systématiquement incarnés. Et aussi complexes qu’apparaissent les liens désunissant tous les acteurs d’un affrontement tellurique, les connexions professionnelles, psychologiques, culturelles comme sociales demeurent limpides.
Et quand le texte n’explicite pas les motivations de ses anti-héros, c’est pour mieux ménager un suspense, un mystère, que la plume acérée d’Erikson manie à la perfection.
Lecteur refermant son premier tome
PLUS FORTE QUE L’ÉPÉE
Et c’est ce qui achève de rendre la lecture du Livre des Martyrs indispensable. Un cliché à la durée de vie regrettable veut que la littérature de l’imaginaire, notamment la fantasy, soit d’abord un haut-lieu de concepts, un endroit de créations stimulantes, plus que d’émulation littéraire. Le présent ouvrage est une opportunité idéale de battre en brèche ce vieux reproche qu’on formula jadis contre le fantastique ou la science-fiction, tant la plume d’Erikson s’avère acérée.
Des longues descriptions de cité cyclopéennes à l’évocation des innombrables coutumes en passant par les dialogues (précis, efficaces, et pourtant capables de notables envolées poétiques), la langue qui prend ici forme permet au lecteur de s’investir dès la première page dans un univers à la densité sidérante. On est souvent étonné par la capacité du romancier à utiliser de purs artifices littéraires pour donner à sentir ce monde aux recoins immémoriaux, aux coutumes empruntes de mystères, et dont les personnages sont loin de dévoiler instantanément leurs cartes.
Bien des questions ne trouveront pas leur réponse dès ce premier tome, quand il faudra patienter parfois plusieurs centaines de pages pour comprendre les choix d’untel ou d’unetelle. Autant de flous, d’énigmes, qui deviennent ici des motifs d’avancée, de véritables moteurs tant l’auteur manie avec intelligence frustration et satisfaction. Un équilibre difficile à tenir et pourtant jamais pris en défaut, malgré des concepts parfois difficiles à transformer en narration, tel le statut des Dieux, entités surpuissantes, mais mortelles, désireuses d’influer sur la marche du monde des hommes, et dont la présence aux confins de ce monde demeure une de ses trouvailles les plus entêtantes.
Lecteur réclamant son deuxième tome
La dimension épique de l’ensemble est également des plus appréciables, et si Le Livre des Martyrs ne cherche jamais à multiplier les séquences d’action, pas plus qu’il ne dilate inutilement ses batailles, le style y demeure alerte. Il engendre des pages dont la puissance spectaculaire est remarquable. Ainsi, le lecteur qui sentira, au détour d’une description ou d’un dialogue, combien les révoltes du passé, les conflits d’antan, ont engendré de batailles destructrices, aura droit dès cet opus à un déferlement inoubliable en fin de tome.
Saluons enfin la traduction d’Emmanuel Chastellière, particulièrement réussie, rendant enfin grâce à ce texte, dont la richesse est le premier fer de lance.
Ceci est un article publié dans le cadre d’un partenariat. Mais c’est quoi un partenariat Ecran Large ?
Avec beaucoup de retard, je remercie vivement Ecran Large pour cet article qui m’a fait découvrir Steven Erikson. Je suis depuis accroc ! C’est en effet très exigeant, pas tant en raison du nombre de personnages que de la complexité des intrigues, de la profondeur inattendue des réflexions et du world building dantesque à coup de descriptions, retours dans le passé (très très lointain), poésie…
La souffrance pour le lecteur que je suis n’est pas loin, mais régulièrement récompensée par des moments d’une intensité telle que le jeu en vaut largement la chandelle.
Je ne peux que souscrire au commentaire d’Elzen plus haut, qui correspond parfaitement à mon sentiment. Inutile, donc, d’en rajouter une couche.
Sinon pour préciser ceci : c’est avec la version e-book que j’ai lu cette sage (jusqu’au 9e tome actuellement) et je veux partager ici que ça a été une excellente idée. Confronté à plusieurs centaines de personnages — parfois rencontrés plusieurs tomes précédemment — l’outil de recherche du Kindle m’a permis de remonter aux scènes où ils évoluaient dans les volumes précédents. Quoi de plus précieux quand on fait face à une telle dentelle d’action et de motivations ! Effectivement, une scène difficilement compréhensible dans un tome peut s’expliquer beaucoup plus tard, à plusieurs ouvrages de distance. J’ai aussi pris l’habitude de surligner les passages qui semblent importants pour mieux y revenir plus tard.
Bref, je suis un amoureux des livres papiers, mais vue la taille — et surtout le poids — des volumes et le précieux outil de recherche, je pense qu’une lecture numérique peut apporter beaucoup au lecteur qui souhaite apprécier toutes les subtilités.
Ajoutons enfin qu’il existe un excellent wiki (en anglais) qui aide aussi à s’y retrouver dans ce maelström de personnages. (https://malazan.fandom.com/)
Une épopée excellente, une complexité réelle. Il faut s’accrocher pour y rentrer vraiment, mais ensuite la récompense est là! Certains des caractères sont parmi les plus réussis de toute la fantasy.
Simplement une rectification: il y a deux traducteurs. Emmanuel Chastellière et Nicolas Merrien. Et ce n’est pas faire injure au premier de dire que le travail du deuxième est l’un des principaux atouts de la série. Il suffit de comparer le texte original et la traduction française.
Oh ouiii!!! Enorme saga de fantasy qui mérite d’ètre connu..Par contre faut s’accrocher car la complexité du récit et le nombre de personnages importants pourraient en rébuter plus d’un. Mais si vous vous accrochez, la récompense est énorme !!! Une des sagas les plus épique que j’ai lu en tant que fan de Fantasy. Steven Erikson est un dieu
@Elzen
Merci beaucoup pour ces infos ! Je vais donc franchir le pas 🙂
Je suis également un grand lecteur de fantasy depuis des années, j’ai quasi fini le tome 8 et je suis totalement addict à cette saga. C’est effectivement exigent : style d’écriture complexe, pensées philosophiques des personnages, nombre de personnage énorme, intrigues qui ne sont expliquées que plusieurs tomes plus loin… Mais c’est justement pour cela qu’on en redemande. En France il n’y a que peu voire pas de proposition équivalente. C’est extrêmement jouissif que de voir ou non ses hypothèses confirmées ou infirmées. Que de suivre des personnages hyper charismatiques, que d’être sans cesse surpris par les évènements, que de constater la cohérence de la construction de l’univers riche d’une histoire de centaines de milliers d’années…
L’oeuvre n’étant bien sûr par exempte de défauts : quelques longueurs, quelques digressions, tropes scénaristiques de l’auteur…
NB : le premier tome est à part, il a été écrit bien avant e(t donc parfois plus maladroit que les autres, bien que tout de même de très haute qualité littéraire) et ne voit en réalité pas mal de ses évènements bien expliqués que dans les tomes suivants. Le conseil qui est donc donné est de finir le tome 2 avant de décider ou non de poursuivre la saga. Le tome 2 étant en effet bien plus représentatif de celle-ci (et par ailleurs à ce jour peut-être mon favori). Certes cela fait 2000 pages à lire mais avec cette saga tout est épique de toute façon.
En résumé : il y aura pour moi un avant et un après avoir commencé à lire Le cycle des Malazéens. Merci à à la communauté d’Elbakin pour la découverte il y a de cela des années, et surtout au travail de Nicolas Merrien, d’Emmanuel Chastellière et des éditions Leha pour la qualité de l’édition française enfin au complet !
Les poches de la roue du temps tardent à sortir, en attendant je tente le coup. Partenariat ou pas, ça donne envie, je me suis baladé sur le net et les critiques semblent bonnes. Je commande et vous remercierai (ou pas:) après. Je suis tjrs content de découvrir des trucs, et j’ai confiance en votre honnêteté dans la démarche.
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 La rédac’
J’espère que le livre est bien, je viens de l’acheter suite à votre critique 🙂
La Fantasy est mon genre privilégié de littérature. J’en ai lu vraiment un bon paquet de ce qui est sorti en France. Le cycle des martyrs est vraiment l’un de mes favoris. La qualité d’écriture est excellente, l’intrigue est captivante et complexe et les personnages sont tous très bien écrits, cohérents et pas manichéens comme souvent dans la fantasy.
Que cet article soit issu d’un partenariat ne veut pas dire que l’avis d’écran large n’est pas objectif.
J’aimerai que cette saga soit adaptée en série mais je doute d’un bon résultat sans un budget très conséquent. Quand on voit ce qu’amazon à fait à la roue du temps et encore, déjà à la base la roue du temps est pour moi de la mauvaise fantasy, normal que la série soit kitch et sans saveur.
Vous pouvez faire un autre article sur le cycle de la compagnie noire de Glenn Cook qui est aussi un monument de la fantasy.
Cordialement.
À quand « l’adaptation » de Netflix avec un cahier des charges qui détruit l’oeuvre originale? Ça vaut aussi pour Apple+ et prime..