Scénariste légendaire (From Hell, Watchemn, V pour Vendetta) à la réputation auréolée de mystère, Alan Moore s’est progressivement reconvertit dans la poésie et la littérature. Après avoir exploré l’histoire de sa ville natale dans La Voix du Feu, il ausculte une nouvelle fois les arcanes de Northampton avec Jerusalem, tonitruant chef d’œuvre qui vient bouleverser la rentrée littéraire.
Le père Noël a bien changé
WELCOME TO BABEL
Jerusalem s’articule autour d’un concept aussi simple que vertigineux. Chaque être, chaque particule, chaque instant, à avoir composé les innombrables couches de sédiments constitutifs de Northampton, est éternel et en mouvement perpétuel. Ainsi, l’écrivain nous propose rien moins qu’une carte aux limites toujours mutantes de l’antique cité qu’il habite encore aujourd’hui. Son récit bondit donc de lieux en époques, de rues en contre-allées, selon que sa voix singulière choisit de suivre les déambulations éthyliques d’un clochard au milieu des années 70, avant de se perdre dans les atermoiements d’une artiste en proie à de curieuses visions, lesquelles font écho à la révélation qui rendit fou un enlumineur des siècles plus tôt.
La langue de Moore épouse chacune des temporalités qu’elle empreinte et c’est avec fascination que le lecteur sent le style, la syntaxe et le tempo du texte muer de pages en pages. La folle ambition de Moore n’est autre que de faire de Northampton une nouvelle ville sainte, la sienne, une Jerusalem dont il entend donner les clefs au lecteur prêt à le suivre le long de ses éreintantes 1200 pages.
Et c’est aux Editions Inculte
Le tour de force de l’œuvre est, au-delà de l’effet de sidération qu’elle provoque régulièrement, de parvenir à se renouveler constamment. Qu’elle se fasse merveille de précision documentaire quand se déploie sous nos yeux la vie du quartier des Boroughs au moyen-âge, ou pure délire issu d’un cauchemar de Danielewski quand soudain le texte s’adresse à son lecteur, la dernière création de Moore est un terrain de jeu parfaitement jubilatoire.
ATLANTIDE POPULAIRE
La voix singulière de Moore, qu’on jurerait parfois entendre scander l’impressionnante traduction de Claro, surgit entre chaque ligne, illumine chaque page, tout en laissant avec gourmandise la place aux influences que l’écrivain ne cherche pas à dissimuler. Son banquet infini convoque tour à tour Joyce, redécoupe Burroughs et se frotte volontiers aux puissances telluriques d’un Tolkien.
Alan Moore, vous suggérant discrètement de liker la critique de son livre
Car ce kaléidoscope halluciné n’est pas que le délire mégalomane d’un historiographe mystique ou un quelconque trip décidé à imposer à son lecteur une épreuve de force. Non, Alan Moore ne nous pas convié à l’ascension de la face nord de l’Everest. Bien au contraire, son golem de papier, par l’absolue fluidité de sa construction et son indéboulonnable amour du peuple, s’inscrit à la manière d’un Dickens ou d’un Hugo dans la lignée des récits désireux de démocratiser le grand art. Jamais il ne cherche à étouffer le lecteur, à le gaver sous sa cosmique érudition, préférant l’inviter à parcourir son cerveaux aux airs de bibliothèque inépuisable.
Amoureux du peuple, de ses incarnations multiples, des schrapnels de souffrance qui déchirent les hommes pour mieux dévoiler leur humanité, l’artiste ausculte ses prochains, s’échine à leur donner une voix, en faire un concert phénoménal auquel chacun pourra trouver un sens. Déclaration mystique déposée au pied des damnés de la Terre, Jerusalem se veut également le portrait amoureux de toutes ces innombrables cités, petites villes et bourgades, qu’une mémoire collective superficielle écrase, quand elles recèlent elles aussi leurs propres mythologies.
Northampton, les Boroughs, début du XXème siècle
Cosmogonie de l’infiniment petit, oraison funèbre pour soulographes anonymes ou zig-zag eschatologique, les niveaux d’amplitudes et les ramifications du texte ne cessent de s’entrechoquer, pour mieux dévoiler des espaces mentaux insoupçonnés, des abîmes fantasmatiques où l’auteur invite le lecteur à se perdre.
Elevé dans les quartiers populaires de Northampton, Moore fait des âmes damnées qui les ont arpentés depuis des siècles les récipiendaires de fulgurances et de secrets propres à illuminer les ténèbres. Décidé à bâtir une cathédrale de mots, aussi sublime qu’ouverte aux quatre vents, l’artiste livre ici une Tour de Babel dont on se surprend à rêver qu’elle ne s’écroule pas, un magnum opus qui s’impose comme le plus bel accomplissement de son auteur.
Jerusalem, 28 Euros, Editions Inculte (qu’on remercie chaleureusement pour leur disponibilité et leur réactivité qui auront permis de déocuvrir un texte volumineux dans d’excellentes conditions).
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On le trouve sans problème à la FNAC ou sur Amazon.
Il est surtout difficile à trouver dans le commerce pour l’instant!!
Jai rien compris…
1 an que j’attends la traduction française, enfin il est à moi. Maintenant, faut que je trouve le temps de le lire.
Oui, c’est un roman où il se raconte un peu au travers d’un des pesonnages féminin.
Ça a l air fascinant mais je n’ai rien compris a ce que ca raconte…c est un roman ?