NOIR C’EST NOIR, Y’A PLUS D’ESPOIR
Noire comme les tunnels des tranchées de la Première Guerre mondiale dont l’esprit de Tommy Shelby est toujours prisonnier, noire comme les chemises fascistes des partisans d’Oswald Mosley, noire comme la maladie sur une radio. Passé, présent, futur : la lumière ne passe désormais plus. Il n’y aura d’ailleurs plus un seul coin de ciel bleu ensoleillé passé la séquence prologue du premier épisode, au cours de laquelle la mort prélève un terrible indu pour notre personnage principal (et pour le public, que la partie informée des infortunes tragiques du casting de Peaky Blinders ne pouvait que redouter). Une coupe profonde, comme une lame de rasoir dans une veine cave. La première.
Car cela ne fait même pas dix minutes que l’on est là, et Peaky Blinders ne fait encore que saluer son protagoniste et son public. Jamais la mort n’aura été aussi active et injuste dans le sillage de Tommy Shelby, et jamais l’obscurité n’aura été aussi épaisse que dans cette saison 6. On pourrait la couper au rasoir (encore). Même le son devient d’une pesanteur pachydermique, le traditionnel post-punk suave laissant place à des accents quasiment doom. Il y a de quoi être funeste : le néant gagne du terrain partout, la mort campe devant les portes du manoir Shelby comme les fascistes campent devant les portes du pouvoir. Il suffira d’un rien : un peu de coordination, un peu de patience, et l’Histoire fera le reste.
La lumière ne passe plus. C’est à peine s’il reste quelques rais à capter pour la caméra, à laquelle la réalisation d’Anthony Byrne ne donne que le strict nécessaire pour rendre compte de ce qu’il se passe et impressionner la pellicule. La photographie, désormais quasiment intégralement composée de contre-jour et de clair-obscur, étouffe, infiltrée par une tache d’huile qui ne dit pas son nom en public. Évidemment, il y a toujours beaucoup de chichis cosmétiques gratuits, on est devant Peaky Blinders après tout. Évidemment aussi, c’est toujours aussi somptueux qu’avant, voire plus, en témoigne la géniale fusillade finale, éclairée uniquement par les étincelles aveuglantes d’un métro nocturne rampant comme un ver.
Mais on pardonne, car cela fait sens dans cette saison 6, qui maintient le cap narratif renouvelé par la saison 5, une saison magnifique où les enjeux historiques dépassaient de très loin les petites guerres de mafieux, où les luttes de pouvoir entre clans des rues percutaient de plein fouet les luttes de pouvoir entre clans politiques. Comme si on avait largué des fans de paintball à Fallujah. On ne joue plus et on ne jouera probablement plus jamais. D’ailleurs, la dernière étincelle d’innocence qu’il restait à Tommy Shelby s’éteindra au milieu de cette saison, malgré un paiement en or et une promesse tenue d’arrêter l’alcool. Encore un indu prélevé par la mort. Beaucoup de blé à faucher, à moissonner, la saison est bonne.
Cinquante nuances plus sombres
SIC TRANSIT
Peaky Blinders n’a jamais été une partie de thé dansant au Balajo. L’ambiance est même traditionnellement plutôt café irlandais couleur encre de Chine. Mais, si la saison est bonne, elle nous laisse un peu sur notre faim malgré le plaisir immense de retrouver le clan Shelby. Et pour une fois, on ne fera pas le reproche à une oeuvre de manquer d’âme ou raison d’être. Au contraire, les quelques petits pépins de cette saison 6 sont plus en surface. Car pour employer une expression toute faite, cette saison 6 est ce qu’on pourrait appeler une saison de transition.
Un reproche qui peut paraître injuste. Pour la première fois, la saison 5 de Peaky Blinders se terminait par une défaite des Shelby, doublée d’une trahison de Michael, un membre clé de l’organisation. Désormais hors-jeu, il était logique qu’une lente reconfiguration ait lieu pour le clan, plutôt dans la glace conspiratrice que dans le feu de l’action. C’était nécessaire, logique, et pourtant, c’est un poil frustrant. Une saison déboussolée, pour des personnages déboussolés, là où précédemment, le programme était on ne peut plus clairement établi – prendre la place de Billy Kimble, survivre à la vendetta de Luca Changretta, assassiner Oswald Mosley pour mater le fascisme…
Diana Mitford, excellent nouveau personnage qui a une conception très édifiante de la poignée de main aristocrate
Le plan qui consistait à asssassiner Oswald Mosley a échoué, l’adversaire étant coriace – en plus d’être vraiment à vomir. Bonne nouvelle : les difficultés n’ont jamais été aussi grandes, faisant même caler l’invincible Tommy Shelby. Mauvaise nouvelle : on va devoir faire un peu de surplace. Prenez un siège, admirez la vue, on en a pour un moment, le temps de mettre la suite en place, que ce soit une prochaine saison ou un film. La vue justement, peut aussi poser un léger problème, car elle n’est pas aussi variée qu’elle pourrait l’être. On fait souvent le reproche à certaines séries de trop se disperser (coucou Stranger Things), on pourrait dire l’inverse ici : ultra-concentrée, cette saison 6 tourne quasi-intégralement autour de Tommy Shelby.
Tous les autres personnages gravitent désormais autour de ce soleil noir à la lumière de plus en plus vacillante, une force supérieure qui vampirise tout. L’effet produit est double et contradictoire, envahissant et en même temps terriblement magnétique. Là encore, le reproche paraît injuste, car c’est bien la mécanique même de cette saison justement : au-delà de son orbite, les ténèbres, le vide sidéral. Les autres ont donc bien peu place. Arthur Shelby et Michael Gray sont envoyés à la niche dès le premier épisode et ne reviendront qu’à la fin. Oswald Mosley est renvoyé à un rôle subalterne. Le savoureux Alfie Solomons – quasiment la seule source d’humour dans cette saison – ne fera que passer une tête.
Oh mon dieu attention, une scène sans Tommy Shelby
THIS MACHINE KILLS FASCISTS
Ici, c’est Tommy. Tommy est magique. De toute façon, ça tombe comme des mouches autour de lui, donc il ne reste pas grand monde à filmer. Et si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à vous plaindre aux Peaky Blinders. Heureusement, le spectateur est honnêtement loin d’être mécontent, il est même globalement très satisfait. D’autant que cette transition est loin de filmer du vide, il se passe beaucoup de choses capitales pour la suite – surtout dans l’épisode final, évidemment.
En vérité, malgré les menues scories précédemment listées, si on arrête de comparer Peaky Blinders à Peaky Blinders, on est toujours sur un éparpillement façon puzzle de la concurrence. Peaky Blinders dynamite, disperse, ventile. Cillian Murphy est sur l’Everest du charisme et continue de grimper. Les décors sont toujours plus impressionnants et riches en détail. L’intrigue réserve toujours son lot de surprises, avec les habituels rebondissements qui en font trop, comme les tout aussi habituels retournements de situation qui décrochent la mâchoire (mention spéciale au dernier de cette saison qui a arraché un ‘MAIS NAAAN’ d’étonnement à votre serviteur). Et les dialogues sont toujours aussi ciselés.
Mais on ne dira rien, pas de panique
Mais dire tout cela, c’est plus ou moins ne rien dire de Peaky Blinders, tant il s’agit là d’attendus désormais basique pour le calibre de cette série. Ce qui l’est moins, c’est la continuation de la mue opérée par la saison précédente, et surtout, la reprise de son sujet en creux : la montée organisée du fascisme. Car c’est bien le nom de cette matière noire qui s’infiltre dans la vie, dans le récit, dans l’image, comme une tâche de pétrole qui dévorerait les pigments colorés d’une peinture. Steven Knight l’avait attrapé à pleines mâchoires, et on se fait une joie de voir que des années après, ses crocs sont toujours plantés bien profondément dans le cou de sa proie. Une proie qui n’est pas juste traitée comme une toile de fond lambda.
Une image dérangeante : comment un rom pourrait en venir à lancer un salut hitlérien et lancer mort aux Juifs ? Certes, Tommy Shelby joue un double jeu, mais si cela avait été une autre personne qui détenait le pouvoir d’influence convoité par Oswald Mosley – personnage historique réel, on le rappelle – et son « ami allemand » ? Tout ce qu’il aurait fallu, c’est que les convictions n’enrayent pas les petites mécaniques d’intérêts personnels que Steven Knight dissèque dans le détail : une motivation pour l’argent, doublée d’une capacité à fermer les yeux. La complicité d’un oligarque n’est pas si difficile à acheter, et c’est bien par la tête que pourrit le poisson.
La saison 6 de Peaky Blinders est disponible sur Netflix depuis le 10 juin 2022
Une des meilleures séries de ces dix dernières années, l’histoire certes revue à la sauce US, est passionnante, les acteurs excellents, l’image, la photographie sont les fruits d’une réalisation artistique remarquable, et s’il est vrai que la saison 6 très axée sur Tommy Shelby est un peu lente, déconcertante, les derniers épisodes sont géniaux.
Excellente et très juste critique, même si elle passe un peu sous silence les personnages féminins, à l’exception de l’odieuse Diana Mosley, qui eux ne sont pas ramenés à la niche: Natasha O’Keefe est frémissante d’émotion et Sohie Rundle excellente en Ada prête à reprendre le flambeau de Polly en matriarche.
Je viens de terminer la saison 6, et cette série rentre définitivement dans le panthéon des grandes séries. La qualité de l’interprétation (mais c’est bien la moindre des choses), la richesse du scénario, le soin apporté aux décors et à la musique (bande son anachronique et géniale de bout en bout), et je ne parle pas de la mise en scène (des plans fixes de toutes beauté, une photographie léchée) : tout est de haut niveau.
foule bouse inc more rage ppl
@Rabatjoie
Comme quoi, les ressentis.
Je les aime toutes mais la S5 est un joyaux pour moi:)
Pour ma part, arrivé en fin de saison 4, la série avait fait un sans faute.
Avec un final juste parfait.
La 5 et la 6, sont clairement de trop…
Ça tourne pas mal en rond, en fait.
Après, je reconnais qu’il est difficile de lâcher une telle galerie de gueules cassées et le decorum qui va avec!
Série digne d’un chef d’oeuvre.
Caméraman d’une autre planète.
Sublime , meilleur série actuelle.
@Leduck
C’est un peu short pour laisser une chance à une série.
Jai tenu 1/2 episode de cette serie, comme bcp de serie a la mode (Breaking bad, vickings, etc) je ny ai rien trouvé pour me retenir.
Saison plutôt très ennuyeuse. Clairement la moins bonne des 6 selon moi. Et, oui, overdose de Cillian Murphy, que j’adore pourtant.
La transformation du scénario après le décès de l’actrice a été très mauvaise. On s’embourbe dans des récits tire-larmes et loin des enjeux qui nous concernaient jusque-là.
Pas grand-chose ne fonctionne dans tout ça.