LE JUSTE PRIX
Afin d’éponger les dettes du journal révolutionnaire de son grand-père, Sunny se lance dans le trafic de faux billets. C’est sur ce concept relativement simple et qui ne vend pas forcément du rêve que la série Faux pose ses bases. Il y avait pourtant de nombreuses raisons de croire que cette dernière création originale du catalogue Amazon Prime Video allait être une des grandes surprises de ce début d’année. La principale étant le duo de cinéastes à l’origine du projet.
Partenaires derrière la caméra depuis 2003, Raj Nidimoru et Krishna D. K. sont réputés pour leur cinéma généreux, techniquement irréprochable. D’autant que le duo surnommé Raj et DK a fait ses preuves dans de nombreux genres, de la comédie horrifique (Go Goa Gone) au polar (Shor In The City) en passant par le film d’action (A Gentleman). Ils ont également prouvé leur maîtrise des séries en dirigeant les deux saisons de The Family Man pour Amazon Prime Video.
Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, Faux est une grande réussite technique. La mise en scène force le respect et on pourra retenir de nombreux moments de bravoure. Le style très clinquant de Raj et DK ne tourne jamais à vide et s’adapte parfaitement à cet univers de faux-semblants dans lequel tout repose sur l’artifice et l’image. Les cinéastes alternent entre l’élégance de plans-séquences millimétrés et la brutalité des séquences filmées caméra au poing. Sans oublier les très nombreux effets, dont le split screen omniprésent qui sert de signature technique au duo.
Pour renforcer ce travail technique brillant, Raj et DK comptent sur l’immense directeur de la photographie Pankaj Kumar à qui l’on doit certaines des plus belles œuvres de la décennie passée, dont Haider de Vishal Bhardwaj. Il offre cette fois-ci une esthétique complexe et passionnante. Non seulement le technicien s’amuse une fois de plus avec les contrastes de couleurs et l’éclairage des séquences nocturnes, mais il s’assure également de rendre tangible l’atmosphère pesante de la série. Chaque plan traduit la chaleur humide de Mumbai et la sueur des corps en mouvement.
Rouge, comme le feu du volcan qui va se réveiller
Si tout se passe pour le mieux derrière la caméra, la série peut compter sur son casting redoutable pour assurer le spectacle à l’écran. Sans surprise pour les amateurs de cinéma indien, l’acteur Shahid Kapoor fait une nouvelle démonstration de son charisme à toute épreuve. Il passe sans problème d’un registre à l’autre, incarne toutes les facettes de son personnage dans ce qu’il a de plus vulnérable et de plus bestial. On retrouve avec plaisir l’acteur capable de performances immenses comme celles de Kaminey et Udta Punjab.
Mais tout le reste du casting suit la cadence. L’excellent acteur tamoul Vijay Sethupathi donne vie à un personnage complexe et souvent contradictoire. Raashii Khanna apporte une véritable empathie à son inspectrice déterminée qui pouvait aisément tomber dans la caricature. Mais impossible de ne pas mentionner Kay Kay Menon qui semble prendre un plaisir fou à jouer un gangster extravagant aussi drôle que terrifiant.
2 BROKE GUYS
Au-delà du cachet technique, on connaît surtout Raj Nidimoru et Krishna D. K. pour leur capacité à jongler entre les différents registres. Qu’importe le sujet de fond qu’ils traitent, ils l’accompagnent toujours d’un humour noir à la fois décalé et décapant, souvent méta. Difficile de ne pas voir en eux les héritiers du cinéma de Guy Ritchie période Arnaques, Crimes et Botaniques ou Snatch.
Cette fois encore, la série mêle pur polar nerveux et comédie avec une efficacité désarmante. Mais ce qui surprend le plus est certainement la finesse apportée lors de moments de drame. Les émotions sont pudiques, toujours loin du pathos. Fait d’autant appréciable, les réalisateurs comprennent l’importance de ne pas systématiquement désamorcer le sérieux par une blague malvenue afin de ne pas saboter la puissance dramatique du récit.
Qu’est-ce que tu veux qu’on foute de flingues factices ?
Ce qui rend la narration de Faux si prenante, c’est également sa galerie de personnages hauts en couleur. Mais c’est paradoxalement là que se trouve la principale limite de la série. À trop vouloir approfondir les relations familiales et les conflits internes des différents personnages, les cinéastes sacrifient parfois le rythme et donc la tension censée tenir toute la démarche.
Ainsi, après un départ très prometteur, on subit un ventre mou dispensable à partir du troisième épisode. Et quand bien même cette faiblesse ne dure pas plus de deux épisodes, c’est tout de même suffisant pour déstabiliser le spectateur. D’autant que cette faille aurait pu être largement corrigée par une écriture plus exigeante. Avouons à ce propos que la durée imposée d’environ une heure par épisode était peut-être trop longue pour garantir un suspense constant.
SEUL LE CRIME PAIE
La plus grande force de Faux se trouve dans la façon qu’a la série de s’intéresser à des personnages complexes et ambigus. Cet univers impitoyable repose sur une morale trouble, une fine ligne sur laquelle les notions de bien de mal disparaissent progressivement. L’idée est habilement suggérée par l’effet de miroir développé entre Sunny et le policier chargé de l’enquête. D’un côté un agent intègre qui devient de plus en plus toxique dans sa vie privée. De l’autre un criminel qui n’a pas le moindre remord, mais ferait tout pour protéger les siens.
Cette ambiguïté morale va directement influencer l’évolution psychologique de nos personnages principaux. La série refusera ainsi d’offrir à son policier un arc de rédemption morale au sens classique du terme. Et elle évite intelligemment de respecter trop soigneusement la punition convenue du schéma rise and fall pour son anti-héros criminel. Même le final cathartique absolument jouissif refuse de trancher la question morale qui modèle toute l’œuvre.
Derrière cette ambiguïté constante, on découvre alors le propos hautement politique de Faux. Toute cette histoire colorée et grisante de bandits et de faux-monnayage n’est qu’un prétexte pour prendre la température d’une colère sociale qui ne demande qu’à exploser. La violence de classes, l’hypocrisie politique, l’opportunisme des médias, toute la société indienne est passée au crible avec une justesse impressionnante.
Mieux encore, la série parvient à tenir ce propos sans jamais sacrifier son sens du divertissement. Raj et DK parviennent à trouver l’équilibre en évitant soigneusement de tenir un propos militant moralisateur. Là encore, c’est en refusant de tirer la moindre morale que Faux s’avère être une expérience si redoutablement efficace.
Faux est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video depuis le 10 février 2023
Très bonne analyse. Bonne série . j’espère aussi qu’il y aura une saison 2
C’est plus inspiré de breaking bad que de Guy Ritchie à mon avis.
J’ai adoré cette série. Pour moi un 8/10. J’espère qu’une suite viendras.
Sans votre critique, je serais passée à côté de cette pépite. Merci !