Blurry vision
Avant de détailler en quoi les 15 épisodes de Secret Level sont pour nous une profonde déception (qui nous vaudra sans doute quelques commentaires assassins pour ceux voulant défendre corps et âme cette “lettre d’amour” au jeu vidéo), il est bon de préciser une chose. Blur Studio a eu un impact considérable sur notre imaginaire. En plus d’avoir signé certaines des cinématiques les plus stylées et stylisées du jeu vidéo moderne, ses bandes-annonces en 3D photoréaliste restent encore sans commune mesure.
Certes, les trailers en CGI pour les jeux vidéo soulèvent pas mal de polémiques en tant que pubs qui ne montrent rien des titres qu’ils sont censés vendre, mais Blur a su transcender l’exercice. C’est bien simple : de Star Wars : The Old Republic aux Batman Arkham en passant par League of Legends, l’équipe de Tim Miller s’est toujours amusé à offrir de véritables courts-métrages animés, bourrés d’idées badass, de chorégraphies démentes, et de mise en scène virevoltante, le tout en amorçant les enjeux dramatiques et le gameplay des jeux concernés.
Néanmoins, on acceptait aussi leur dimension assumée de publicité, qui excusait les narrations réduites à de vagues pitchs au profit d’un spectaculaire ampoulé. Avec Secret Level, on espérait que Blur prenne en compte son héritage à la fois grisant et régressif, tout en passant la seconde en ce qui concerne l’écriture, la porosité entre le cinéma et le jeu vidéo, et l’envie d’aller au-delà de l’illustration marketing estampillée cool.
Malheureusement, les 15 épisodes, tous basés sur des propriétés intellectuelles plus ou moins identifiées, ne cherchent jamais à dépasser le stade de l’intention conceptuelle et de la démonstration technique. Love, Death & Robots pouvait avoir le même problème au fil de ses saisons, mais les différents studios chaperonnés par Blur avaient toujours l’opportunité d’expérimenter, ou au moins de développer des univers narratifs et visuels originaux.
Secret Level est de ce point de vue une régression navrante. Si ce n’est pour les épisodes dédiés à Sifu et Spelunky, qui vont piocher dans le cel-shading, le studio d’animation a appliqué le même look photoréaliste à toutes ses créations. C’est souvent impressionnant de technicité (on pense en particulier à la qualité des effets de lumière et de textures dans l’épisode dédié à Warhammer 40,000), au détriment d’une identité qui démarquerait les différents titres. Tout est mélangé dans le même blender d’homogénéité, qui oublie au passage l’inévitable estompage de son effet “wahou” depuis le YouTube des années 2010 et les séries anthologiques à la Love, Death & Robots.
Edge of Yesterday
La tragédie est peut-être là : on se sent terriblement vieux devant Secret Level, qui synthétise une méthodologie inchangée depuis plus de 15 ans. On y voit les mêmes scènes d’action, les mêmes ralentis, la même musique zimmerienne, et la même autosatisfaction d’ado edgy dans les rares idées d’écriture. L’épisode sur ce sous-Counter Strike qu’est Crossfire en est le plus révélateur. En opposant deux escouades interchangeables dans un conflit abscons autour d’un MacGuffin volontairement flou, il faudra juste retenir qu’il n’y a pas vraiment de “good” ou de “bad guys” dans cette histoire. Super profond…
D’aucuns pourraient sortir l’argument du format oscillant entre 10 et 15 minutes en moyenne, et qui se révèle en effet frustrant. Néanmoins, il est tout à fait possible de développer un récit complet dans ce temps restreint. À l’inverse, Blur se repose sur ses acquis, et confond la notion de court-métrage avec celle de cinématique. La narration n’y est qu’une passerelle, un outil de teasing qui donne régulièrement la sensation de voir les épisodes s’arrêter là où ils devraient commencer (les cas de Donjons & Dragons et Megaman sont assez insultants en la matière).
C’est d’autant plus dommage que Secret Level essaie de toucher du doigt des thématiques inhérentes aux mécaniques du dixième art, comme la résurrection, le transhumanisme et la perte de valeur de la mort par le die-and-retry. Il y avait quelque chose à creuser, tant le cinéma d’action se nourrit de ces problématiques depuis un moment (Edge of Tomorrow, Hardcore Henry, et même John Wick dans une moindre mesure). Au travers d’un perfectionnement de leurs capacités au combat face à des ennemis toujours plus reproductibles, les héros d’actioner ont gagné en maîtrise, au mépris d’une âme de plus en plus vidée de sa substance.
C’est au fond la question qui accompagne la violence grandissante de John Wick, auquel la série se réfère en ramenant Keanu Reeves dans la mixture le temps d’un chapitre sur la saga Armored Core (l’un des plus funs de l’ensemble). Le casting sauve d’ailleurs Secret Level à quelques reprises, notamment dans son meilleur épisode, consacré au MMO New Word : Aeternum. Là encore, il y est question de morts répétées et de conquête dénuée de sens, abordée par le prisme comique d’un musculeux seigneur incompétent doublé par Arnold Schwarzenegger, qu’il incarne à la manière d’une version teubé de Conan le barbare.
L’idée ne dépasse jamais vraiment le sourire en coin de la proposition, mais elle a au moins le mérite d’amuser et de ne pas se prendre trop au sérieux. Cependant, même là, il y a quelque chose qui coince. Dans la multitude de licences cultes du jeu vidéo, était-il obligatoire d’adapter dans une série produite par Amazon Prime Video le premier gros titre développé par… Amazon Game Studios ?
« Tim, rends la manette ! »
Le vrai problème est là. Secret Level a beau se donner les atours d’un hommage au dixième art, la série n’est finalement qu’un sous-Love, Death & Robots mâtiné d’une foire d’empoigne à la franchise assez risible. Outre l’épisode sur Exodus, un RPG de SF qui n’est même pas encore sorti, difficile de ne pas ricaner devant le court-métrage offert à Concord, le méga-fiasco multijoueur de Sony dont les serveurs ont été stoppés 15 jours après son démarrage.
Alors que Blur voudrait traduire une attache émotionnelle à des univers et à des expériences de jeu, le studio se contente beaucoup trop de fonds de tiroir qui n’évoquent rien pour une majorité de son audience. Bien sûr, la question des droits disponibles se pose, mais les équipes de Tim Miller ne s’éclatent même pas quand ils en ont l’opportunité.
Preuve en est avec le pire épisode de la série, Playtime, où une jeune livreuse à vélo se retrouve pourchassée par un crossover paresseux des univers PlayStation. God of War et Shadow of the Colossus se font gentiment piétiner dans cette suite de pancartes fadasses, bien loin de la folie du tour de montagnes russes nostalgique de Ready Player One – et de la charge critique qui allait avec.
La complaisance est non seulement embarrassante, mais elle n’essaie même plus de dissimuler l’opération marketing puante. En mélangeant court-métrage et publicité derrière la bannière de Blur et de son passif, Secret Level reflète le drame de son époque. Il devient impossible de vraiment définir ce machin présenté comme une série, si ce n’est à travers le terme atroce et passe-partout de “contenu”. Qu’ils soient montrés sur une plateforme comme Amazon, sur YouTube ou même morcelés sur TikTok, les différents épisodes arborent la même absence d’intérêt, qu’on regarde pour occuper son écran comme n’importe quel autre programme.
Rien ne sort jamais de ce moule insignifiant, si ce n’est la seule bizarrerie de la saison : sa réinvention très sérieuse, sombre et violente de Pac-Man par l’angle d’une science-fiction post-apocalyptique. L’approche est absurde, mais c’est bien ce qui fait son charme, amusé d’imaginer ce que cache l’objectif glouton du célèbre jeu d’arcade, et par extension les actions du joueur.
Pour le reste, force est de constater que Blur est resté coincé dans le pays imaginaire, au stade ingrat d’une adolescence qui se croit plus mature qu’elle ne l’est réellement. Bien sûr, leur savoir-faire technique continue de divertir le temps de séquences d’action épiques et bien découpées (on pense au plaisir de la vitesse des méchas d’Armored Core, à la bourrinade des Space Marine, ou la frénésie plutôt bien retranscrite du FPS multijoueur dans Unreal Tournament). Sauf qu’on était en droit d’attendre bien plus.
Les cinématiques d’époque de Blur nous donnaient vraiment envie de jouer aux titres illustrés. On pourra toujours dire que c’est l’une des ambitions de Secret Level, mais on devrait surtout vouloir enchaîner les épisodes, et plonger avec délice dans de nouveaux univers transposés par un médium amoureux du matériau de base. Pourtant, face à tant d’absence d’adaptation, on ne se pose plus qu’une seule question : pourquoi on ne joue pas à la place ?
Les 8 premiers épisodes de Secret Level sont disponibles sur Amazon Prime Video depuis le 10 décembre 2024. Les 7 derniers seront diffusés le 17 décembre.
Je n’ai vu que la 1ere moitié disponible et je vous trouve extrêmement dur.
– D&D même si ça se ressemble à un trailer, ça constitue une entrée en la matière divertissante visuellement et représente une fantasty peu vu en série/ciné.
– Sifu en moins de 7 min arrive à transposer son concept à l’écran tout en se permettant un final philosophique sur ce même concept. Incroyable.
– New World surprend avec son humour pour un épisode très bien tenu.
– Unreal adapte quand même un jeu multi 100% bourrin qui ne raconte rien de base !
– Warhammer un peu comme D&D mais ça reste une copie propre, qui essaye de varier sa mise en scène.
– Pacman twist l’univers, perso ça marche jusqu’au bout même si visuellement c’est en retrait.
– CS : bon là c’est nul
– Enfin Armored Core, on rappelle : un simple de jeu de mecha tunning pan pan, c’est vraiment propre ce qu’ils proposent.
Bref, vous avez sans doute trouvé Death Love ans Robots ou Arcane sacrément sous le niveau de la mer si je suis votre logique puisque cette dernière par exemple se contente d’empiler les clips sans grande logique parfois et avec une mise en scène souvent au fraise, sacrifiée sur l’hôtel du tape à l’oeil.
Bref, je trouve cela plus qu’honnête, surtout quand on voit le matériel de base pour certaines licences et la qualité habituelle des adaptations JV ! Sans vouloir niveler vers le bas, je trouve que le contrat est rempli et c’est pour le moment mieux qu’une saison de L, D+R qui contient trop de déchets.