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Halt and Catch Fire était donc bel et bien l’une des plus belles séries de ces dernières années

Par Geoffrey Crété
5 novembre 2017
MAJ : 21 mai 2024
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Halt and Catch Fire : Photo

La série AMC avec Lee Pace, Mackenzie Davis, Scoot McNairy et Kerry Bishé méritait bien plus d’attention et de gloire.

Elle a été lancée en 2014, deux mois après Silicon Valley, pour explorer le même univers des geeks qui rêvent en 0 et 1 : Halt and Catch Fire, création de Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers, s’est terminée après quatre saisons il y a quelques semaines sur la chaîne AMC.

Loin des succès phénoménaux des Breaking BadThe Walking Dead et Mad Men, elle est plus à ranger aux côtés de Rubicon parmi les pépites trop ignorées. Ecran Large revient donc une nouvelle et dernière fois sur cette série fantastique, qui aurait mérité plus de gloire.

ATTENTION SPOILERS

 

  

DES ACTEURS SENSATIONNELS

Lee PaceMackenzie DavisScoot McNairyKerry Bishé : un quatuor en or, qui aura brillé de mille feux pendant ces quatre saisons.

Vu auparavant dans la belle série Pushing Daisies, et depuis dans Le Hobbit et Les Gardiens de la Galaxie, l’interprète de Joe MacMillan est un monstre de charisme. Avec son bon mètre 90, sa voix rocailleuse et son regard de fauve, il incarne ce génie contrarié avec une aisance et une assurance fascinantes, passant de la créature ultra-sexuée à l’ogre glacial en quelques instants.

 

Saison 3

 

Vu dans ArgoBlack Sea ou encore CoganScoot McNairy est cette pile électrique silencieuse, faux baromètre du normal dans l’équation explosive de groupe. Kerry Bishé, qui interprétait déjà sa femme dans le film oscarisé de Ben Affleck, aura déployé plus que quiconque ses ailes en quatre saisons, se frayant un passage vers la lumière.

Mais c’est Mackenzie Davis qui a certainement brillé le plus fort dans Halt and Catch Fire. Quasi inconnue à l’époque, vue depuis dans l’épisode fabuleux San Junipero de Black MirrorSeul sur Mars et Blade Runner 2049, l’actrice a apporté au personnage génial de Cameron Howe une mélancolie, une fragilité et une brutalité magnifiques, tirant ce personnage a priori un peu facile de rebelle surdouée vers quelque chose de profondément tendre et beau. Jusqu’aux derniers instants de la série, elle est fantastique, et irradie l’écran.

 

Photo Mackenzie Davis Mackenzie Davis

 

UNE HISTOIRE D’AMITIÉ INTENSE

Que reste t-il de Halt and Catch Fire après quatre saisons ? Une superbe histoire d’amitiés brisées, ravivées, étouffées, embrasées. Il y a bien sûr eu les histoires de Cardiff Electric, Mutiny, Giant, Comet et compagnie, au cœur des intrigues. Mais la série raconte surtout les relations à géométries variables qui unissent et désunissent Joe, Gordon, Donna et Cameron, au fil des rêves, échecs, réussites et éclairs de génie.

A bien des égards, les vraies histoires d’amour se situent entre les deux hommes et les deux femmes, plus qu’entre Gordon et Donna, et Joe et Cameron. La complicité qui les consume, les pousse à s’associer pour avancer, à se déchirer pour exister, occupe une telle place et prend des proportions si volcaniques qu’elle devient plus forte que les romances et divorces. Le décor et les équipes ont beau avoir changé, la seule vraie donnée reste celle-ci. Cette force mystérieuse qui les pousse les uns vers les autres comme des aimants, alors même que leur rassemblement provoque leur perte.

 

Photo Scoot McNairy, Kerry Bishé, Lee Pace

 

Joe est la pièce qui manquait à Gordon (et vice-versa) pour parvenir à concrétiser ses rêves. Donna et Cameron trouvent ensemble un équilibre à la hauteur de leurs ambitions, et l’indépendance de femmes à laquelle elles aspirent. Les couples amènent autant voire plus de destruction, sans provoquer la même énergie créatrice. Ce n’est pas anodin si, à la fin de la série, Joe semble plus affecté par la mort de Gordon que Donna. Et si la conclusion replace le duo d’héroïnes au centre des projets et des rêves.

Halt and Catch Fire aura été portée par un excellent sens de l’écriture, capable de s’offrir des parenthèse attendrissantes, violentes ou incongrues pour mieux dessiner le portrait des ces grands rêveurs iconoclastes, voués à s’écraser contre le mur de leurs ambitions et leurs egos. La série n’aura jamais été plus spectaculaire que lorsqu’elle filme les affrontements entre Cameron et Donna, les parenthèse solitaires suivies des accès de colère de Joe, ou les moments de troubles inquiétants de Gordon. 

 

Photo Kerry Bishé, Mackenzie Davis

 

UNE AMBIANCE IRRÉSISTIBLE

De son flamboyant générique (l’un des plus beaux de ces dernières années) aux bureaux de Comet qui regorgent de détails, du tatou fauché dans la première scène du pilote à la toute dernière image sur Joe, Halt and Catch Fire a imprimé une identité visuelle et musicale irrésistible. Confortablement installée dans la nostalgie geek des années 80, devenue au fil des saisons une valeur plus que sûre, la série n’en aura pas abusée, préférant par exemple ressortir des classiques oubliés plutôt que plonger dans la facilité des tubes indémodables.

Avec quelques noms connus derrière la caméra, comme Juan José Campanella (Dans ses yeuxKaryn Kusama (Girlfight, The Invitation), Kimberly Peirce (Boy’s Don’t Cry), Jon Amiel (Haute voltige) ou encore Daisy von Scherler Mayer (Party Girl), la série de Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers a entretenu son aura cinématographique, avec un soin tout particulier apporté à la photo, les cadagres, le montage et la direction artistique. Soignée sans être démonstrative, dans le sillage évident d’un certain cinéma indépendant non ostentatoire, Halt and Catch Fire envoûte.

 

Saison 2

 

UNE ODYSSÉE PASSIONNANTE ET NOIRE

Dans ses derniers instants, Halt and Catch Fire aura confirmé son histoire : non pas celle de gagnants, d’une success story hollywoodienne, mais d’échecs, de blessures profondes, d’illusions avouées mais non reniées. Le divorce de Gordon et Donna, le crash de Comet après ceux de Munity et les autres, la nouvelle séparation de Joe et Cameron, la fin de la collaboration a priori idyllique entre Cameron et Alexa, la mort de Gordon. Même le disque dur de Haley, dans le dernier épisode, ne peut être sauvé malgré les beaux efforts des deux femmes.

« J’ai plus d’idées », lâche Cameron dans un moment de confession. Les personnages sont lessivés, usés par leurs ambitions, asséchés par leurs échecs multiples, anéantis par leurs faiblesses insurmontables. La fuite vers l’avant et le mythe de la Silicon Valley n’aura pas masqué longtemps la triste vérité. Cette fatalité qui plane sur la série jusqu’à la fin, est puissante. Halt and Catch Fire aura été l’épopée d’anonymes oubliés par l’histoire, mangés dans la dernière ligne droite par un Yahoo sorti de nulle part, sur laquelle les créateurs se sont penchés pour leur rendre un hommage tendre mais juste.  

 

Photo

 

Que la saison 4 tourne autour d’un moteur de recherche, et donc de la question de trouver quelque chose dans un océan de possibilités avec le plus de précision et rapidité possible, en dit beaucoup sur le sens réel de la série. La scène, absolument magnifique, où Cameron et Donna imaginent la réussite et l’échec inévitable de Phoenix, dans un bureau vide et un silence de plomb, illustre cette quête perpétuelle de destination, qui anime et condamne ces personnages.

Ce qui est déchirant, c’est leur clairvoyance, et leur capacité à comprendre ce qui les bloque. Quand Joe explique que l’ordinateur n’est pas « le truc », mais « le truc qui amène au truc ». Ou lorsque Cameron, avec un sourire d’enfant, avoue : « L’idée peut venir plus tard. C’est pas ça qui est important ». Au fond, c’est ce besoin d’amour et de contact qui réunit le quatuor, la technologie n’étant qu’un moyen pour y parvenir et se camoufler. Comme si, finalement, ils aimaient plus l’idée de réussir, que la réussite elle-même.

 

Photo Lee Pace

 

END OF LINE

Lorsque s’achève Halt and Catch Fire, entre les illusions de Donna et Cameron, la tristesse de la mort de Gordon et l’amertume de Joe revenu sur ses pas malgré son désir absolu d’avancer, il y a l’évidence d’avoir sous les yeux l’une des séries les plus stimulantes et fortes de ces dernières années. L’une des plus discrètes et silencieuses aussi, grandement ignorée par le public et la critique, et heureusement soutenue par la chaîne AMC malgré des audiences peu enthousiasmantes.

Le discours féministe féroce et touchant de Donna (la trajectoire des femmes dans la série, et le basculement sur elles, est superbe) puis la chute de Cameron dans la piscine, l’homosexualitée discrètement dessinée de Haley (un personnage très fort de cette quatrième saison), le départ déchirant de Katie (excellente Anna Chlumsky), la boucle bouclée par le « Let me start by asking you a question » de Joe : jusqu’au bout, la série aura démontré une qualité d’écriture, et une sensibilité rare. 

Plutôt que de boucler l’odyssée en clôturant la fiction, Halt and Catch Fire se referme en laissant l’aventure ouverte et possible. Les personnages ont beau avoir revu leurs ambitions à la baisse, ou accepté l’échec à venir, ils continuent à tracer leur route. Parce qu’un rêveur, même abîmé, même brisé, ne peut s’en empêcher.

  

Halt and Catch Fire sera rediffusée sur Canal + Série à partir du 15 novembre.

 

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Nicuum

Une série exceptionnelle et injustement méconnue ! Je la range à côté de Six Feet Under, Breaking Bad, Mad Men et The Americans ! On frise la perfection !

prometheus56

Je viens de visionner les 4 saisons, suite à la lecture de cet article. Je ne connaissais pas du tout la série, et n’en avais jamais entendu parler. Donc un grand merci.

Une série intéressante, avec un cadre historique passionnant, de bons acteurs, et surtout des personnages très bien écrits, bourrés de contradiction.

Lorenzo

Magnifique série.

https://www.youtube.com/watch?v=2oSdgIDyl6Q

loic

Cet article est un très bel hommage à cette magnifique série.
Merci pour cette analyse juste.

Lolo

Que de péripéties, de sentiments, de renversements et d’amour. Superbe !

Dredd

Lee Pace pourrait faire un bon James Bond. Il me rappelle un peu Georges Lazenby qui reste pour moi le meilleur interprète du rôle de 007 (j’adore Daniel Craig , mais Lazenby c’était quand même super classe même en kilt).

Mac

@blason

Euh…
Premièrement la comparaison c’est pour le côté peu médiatisé de ces deux séries AMC, qui ont leurs fans mais n’ont pas été vraiment populaires.
Ensuite : c’est très curieux cette manière de prendre ton opinion (qui reste la tienne) comme base d’une conclusion si catégorique « ça n’a rien à voir : la première j’aime bien et la deuxième j’aime pas ». J’imagine quelqu’un qui pourrait venir et te dire « pour moi tu as tort : j’ai détesté Rubicon je me suis ennuyé, et j’ai adoré Halt & Catch Fire » (qui a été au bout simplement car AMC a prévenu de la fin donc les scénaristes ont pu tout boucler)

blason

J’ai vu la première saison et je n’ai pas réussi à accroché, et donc je me suis arrêté là. Alors que Rubicon ça a été pour moi une frustration de ne jamais avoir de réponses au terme d’une saison unique et géniale. Ces deux séries n’ont rien au commun, l’un est géniale et s’est arrêté beaucoup trop tôt, l’autre ne m’a laissé indifférent et a continué jusqu’a son terme.

Gollem13

Lee Pace n’a vraiment pas de chance. Il mérite tellement d’être à la tête d’une franchise. Comédire, drame… Peu importe. Pushing Daisies est un brai trésor de créativité, stopper trop tôt malheureusement.

Kean

Well done..
Magnifique, emotionelle et intense serie…
Et ce voyage ds le temps a l’epoque des Amstrad et commodore 64 (en ce qui me concerne) etait precieux..!
A ranger aux cotés des series prestigieuses mais completement passées sous le radar comme The knick, Quarry.. Meme si Halt, elle, a eu la chance d’atteindre les 4 saisons.