Si aujourd’hui l’animation japonaise est un art à part entière pour tout le monde, ce n’était pas encore le cas dans les années 90 et, particulièrement en France, où une certaine intelligentsia la combattait pour protéger les esprits impressionnables de ses enfants. Et puis, arriva Neon Genesis Evangelion.
C’est difficile à imaginer aujourd’hui pour les plus jeunes d’entre nous, mais l’animation japonaise a été au coeur d’une véritable bataille intellectuelle et morale il y a presque 30 ans. Elle a longtemps été coincée entre une programmation opportuniste qui ne connaissait pas vraiment la nature exacte de ce qu’elle diffusait (Ken le survivant, diffusé à l’heure du goûter dans le Club Dorothée, pour vous donner une idée) et une bonne morale chrétienne qui en avait fait l’ennemi à abattre (les fameuses « japoniaiseries » et les attaques répétées de personnalités politiques comme Ségolène Royal, alors députée des Deux Sèvres).
Il aura fallu attendre le début des années 2000, l’avènement d’Hayao Miyazaki et du Studio Ghibli pour que, en France, les mentalités se détendent et que l’aspect artistique du médium soit reconnu.
Ken le Survivant, pas vraiment pour les enfants
Pourtant, un peu avant, un anime avait commencé à faire parler d’elle chez les connaisseurs ; une série de science-fiction avec des robots géants et des jeunes femmes en tenues moulantes, bref, tout ce qui la condamnait à succomber sous les balles du prêt à penser de l’époque. Cette série, c’est évidemment Neon Genesis Evangelion, diffusée pour la première fois au Japon en 1995 et en 1996 chez nous. Et, rapidement, on s’est rendu compte que cette série, anodine en apparence, était d’un très gros calibre.
GENÈSE
Neon Genesis Evangelion est sorti de la tête d’un homme bien torturé, fondateur de l’un des plus grands studios d’animation du Japon (le studio Gainax) : Hideaki Anno. Après avoir fondé Gainax en 1984 avec Hiroyuki Yamaga pour produire le film culte Les Ailes d’Honneamise, il fait ses débuts de réalisateur en 1988 sur la série maison Gunbuster qui connaitra un grand succès et plusieurs suites.
Puis ce fut le tour de Nadia & le Secret de l’Eau Bleue, énorme classique de l’animation japonaise que Disney pompera allègrement pour créer le film Atlantide, l’empire perdu quelques années plus tard. Pourtant, cet ancien disciple d’Hayao Miyazaki (il a été animateur sur Nausicaä de la vallée du vent) profite de sa notoriété pour lancer son oeuvre la plus ambitieuse et la plus personnelle : Neon Genesis Evangelion.
Nadia & le secret de l’eau bleue, indispensable
Pourtant, le postulat est on ne peut plus classique : En l’an 2000, un astéroïde percute la Terre en Antarctique, tuant la moitié de la population mondiale. Il est appelé « Second Impact ». En 2015, de mystérieuses créatures font leur apparition, les Anges, mais la Terre s’était préparée à cette éventualité. À Tokyo-3, ville-forteresse et nouvelle capitale du Japon, une mystérieuse organisation, la NERV, a mis au point les EVA, des robots géants, seuls remparts contre cette menace et qui ne peuvent être pilotés que par des adolescents.
Alors qu’il n’a pas revu son père depuis 10 ans, le jeune Shinji Ikari (14 ans) est invité à Tokyo-3 pour le retrouver. Mais le but réel de son paternel est de le mettre aux commandes de l’EVA-01 et de le pousser à sauver la planète. Tandis que Shinji refuse cette responsabilité, un plan de plus grande envergure commence à se dévoiler, un plan de complémentarité qui pourrait changer la face de l’Humanité tout entière et déboucher sur un Troisième Impact.
INTROSPECTION DOULOUREUSE
Dès sa diffusion au Japon, Neon Genesis Evangelion est devenu un véritable phénomène de société dont on mesure mal l’ampleur aujourd’hui. D’autant plus parce que notre rapport aux médias a changé. Elle s’est rapidement installée comme un incontournable culturel, draguant à la fois le grand public et les otakus, tout autant que les intellectuels par ses multiples niveaux de lecture possibles.
Il faut dire aussi que d’un strict point de vue technique et visuel, pour l’époque, la série est fantastique. Character-design intelligent et accrocheur (le personnage de Rei Ayanami est d’ailleurs devenu le fantasme de toute une génération), scènes d’action épiques et audacieuses, rythme soutenu et envoûtant qui maitrise quelques ruptures de ton perturbantes qui fidélisent encore plus ; sur le papier, Neon Genesis Evangelion a tout du plan marketing parfait. Mieux, elle a tout de la série commerciale immanquable, successeur glorieux de toute une culture de robots géants, tels que Mobile Suit Gundam, Goldorak et bien d’autres.
Pourtant, Neon Genesis Evangelion ne tarde pas à montrer qu’il nous parle en fait de toute autre chose et que son emballage pop n’est qu’un artifice pour nous faire passer un message. En effet, on remarque sans trop de difficultés que la série joue quand même un jeu dangereux sur les questions de la violence et surtout de la sexualité. Qu’il s’agisse du rapport ambigu entre Misato (chef de la sécurité de la NERV) avec Shinji, qui montre clairement un désir latent envers l’adolescent et n’hésite jamais à le chauffer, ou encore la relation complexe entre Shinji et Rei et Asuka (la troisième pilote) clairement axée sur le désir frustré, la pulsion et, plus tard, sur le rapport incestueux, la série joue sur une corde dangereuse qui, pourtant, est le coeur même de son récit.
Si l’on rajoute à cela une couche philosophique, ésotérique et religieuse (Neon Genesis Evangelion n’étant, quand on la regarde de loin, qu’une adaptation modernisée de la Kabbale), tout autant qu’une étude psychanalytique de l’humain au sein de la société moderne, on réalise très vite qu’il ne s’agit pas que d’une série de robots pour adolescents.
Un animé bien plus profond qu’il n’y parait
Tout le mérite en revient à Hideaki Anno, même si, pour être honnête, on devrait plutôt remercier sa dépression. En effet, souffrant de ce que l’on appelle un « trouble de la personnalité borderline » (en gros, la frontière entre l’organisation névrotique et l’organisation psychotique, qui se manifeste par une angoisse de perte d’objet, une insécurité intérieure constante et une incessante mise à l’épreuve de son entourage), le créateur envisage Neon Genesis Evangelion comme une gigantesque session d’autothérapie.
Du moins au début, puisque, au fil de la série, il perdra finalement pied, notamment à l’issue de l’ultime épisode qui a scandalisé la fanbase et a poussé Anno à créer un film entier (The End of Evangelion) pour s’excuser. Là encore avec un objectif moyennement atteint.
Rei Ayanami, la Waïfu des années 90
LE DILEMME DU HÉRISSON
Neon Genesis Evangelion trouve ainsi une de ses origines dans la théorie du philosophe Arthur Schopenhauer, appelée communément « le dilemme du hérisson » : l’humanité serait semblable à un groupe de hérissons qui, pour se réchauffer, auraient tendance à se rapprocher. Mais leurs épines les empêchent de vivre une réelle intimité, sous peine d’en souffrir. Alors ils gardent leurs distances, s’isolent et restent dans le froid, seuls.
À travers cette théorie, Schopenhauer mettait en lumière le problème de l’intimité entre les êtres humains. Une chose impossible à un niveau fusionnel puisque nos névroses, personnalités, traumas et individualités nous privent d’un véritable partage symbiotique, nous condamnant ainsi à une séparation inéluctable, une mise à distance de l’autre, ce qui entraine la méfiance respective, la faible implication relationnelle, le repli sur soi et sur ses seuls intérêts. Une porte ouverte vers le narcissisme et la série entière résumée en quelques lignes.
Si on y ajoute le sous-texte ésotérique et religieux (notamment le judaïsme), Neon Genesis Evangelion enfonce encore plus le clou dans la thématique de l’angoisse de séparation et le désir d’union transcendantal. Reprenant à son compte l’ouvrage fondateur de la Kabbale, le Zohar, tout comme l’arbre des Sephiroth, la série use et abuse de symboles religieux sur la forme comme dans le fond.
Elle relit le mythe d’Adam et de Lilith (la première compagne du Premier Homme, bien avant Eve) puisque le Second Impact est en réalité la chute de l’Ange Adam sur Terre et que Rei se mue en Lilith dans The End of Evangelion, entrainant ainsi avec elle le Troisième Impact, la symbiose ultime, soit la disparition de l’Humanité sur un plan strictement individuel et égocentrique.
COGITO ERGO SEUM
Comme si ça ne suffisait pas, Hideaki Anno rajoute également une bonne dose de psychanalyse, principalement freudienne (même si on trouve également des traces de Jacques Lacan dans l’épisode final de la série mère). La série tout entière tourne autour de l’antagonisme complémentaire entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, tout comme elle fait la part belle au complexe d’Oedipe, à plusieurs niveaux.
Déjà dans les rapports entre Shinji et son père, vis-à-vis de sa mère disparue et Rei par la suite (qui est en fait un clone de sa mère, ce qui complique le désir que l’adolescent éprouve envers elle), mais aussi par le principe même des robots géants, les EVA : à la manière du scaphandre expérimental d’Abyss, l’habitacle des EVA se remplit d’un liquide amniotique pour permettre de les manoeuvrer. Ils doivent ensuite être en synchronisation avec l’appareil pour combattre les Anges.
On découvre par la suite que les pilotes ne sont pas choisis au hasard puisque chaque EVA possède en réalité l’âme, ou une partie, de la mère du pilote désigné, qu’il s’agisse de Shinji ou d’Asuka, le cas Rei étant un peu à part (ce qui se justifie également par le fait qu’elle pilote l’EVA-00).
L’ambivalence du désir est clairement marquée dans la série, ne serait-ce que par le rapport entre Asuka et Shinji (qui ne se supportent pas, mais se désirent ardemment sans pouvoir se l’avouer) ou le lien entre Shinji et son père (Shinji veut fuir son père tout autant qu’il veut le rendre fier, ce qui le condamne à toujours revenir). Bref, Neon Genesis Evangelion est une série aux multiples niveaux de lecture et bien plus profonde que ce à quoi on s’attendait.
Des personnages à la merci de leurs désirs frustrés
REBUILD OF EVANGELION
Trop profonde même puisqu’elle pousse Hideaki Anno à plonger dans ses propres ténèbres et à s’y perdre. Les deux derniers épisodes font scandale parce qu’ils n’offrent pas le spectacle attendu. Anti-spectaculaires au possible, surtout le dernier, ils sont également expérimentaux puisque plusieurs passages se résument à des crayonnés alors que la série utilisait à merveille le celluloïd. Beaucoup de fans hardcores se sont également sentis insultés personnellement.
Une réaction épidermique justifiée par le fait qu’Anno, au plus profond de sa dépression, réglait davantage ses comptes avec lui-même et disait à son public, grosso modo, de lâcher son écran de télévision, de sortir de chez soi et de se confronter au vrai monde plutôt que de se réfugier dans des fantaisies virtuelles parce qu’ils étaient paralysés par la peur. On appelle ça la manière forte.
Un moment, il faut sortir de chez soi quoi…
Face au tollé généré par la conclusion de la série, Hideaki Anno se sent obligé d’y revenir en promettant de rectifier le tir. C’est ainsi que deux films seront produits dès la fin de la série : Death & Rebirth, qui sort en 1997, dans un premier temps. Un film découpé en deux parties : la première, Death, n’est qu’un remontage des 24 premiers épisodes tandis que la seconde, Rebirth, propose une version améliorée des 15 premières minutes de l’épisode 25.
4 mois plus tard, en juillet 1997, sort enfin The End of Evangelion, censé être la véritable conclusion de la série et l’acte de pardon d’Hideaki Anno. Reprenant la partie Rebirth du film précédent, le long-métrage développe la fin initialement prévue pour la série, mais censurée pour cause de budget et de morale, et propose une conclusion envisagée comme complémentaire à la série. Mais, là encore, le film divise la communauté, certains allant jusqu’à accuser Anno de hautre trahison.
Shinji, Asuka et Rei, trois ados dépassés par les enjeux réels du conflit
KOMM SÜSSER TOD
Sorti en mars 1998, Revival of Evangelion est en fait la compilation des deux films précédents, sans la partie Rebirth toutefois et prouve, à qui en doutait encore, qu’Hideaki Anno ne sait pas comment se débarrasser de son oeuvre, ni comment la conclure de manière satisfaisante pour tout le monde.
Il faudra attendre 2007 pour que Anno se replonge dans l’univers d’Evangelion avec le projet Rebuild of Evangelion, une série de quatre films, censés remaker l’oeuvre entière, tout en utilisant les story-boards originaux de la série en les couplant avec les techniques d’animation modernes.
Pensé pour les passionnés de la série tout autant que pour les néophytes, le projet Rebuild nous a déjà donné trois films, qui constituent un résumé de Neon Genesis Evangelion : Evangelion : 1.0 – You are (not) alone, en 2007 donc, Evangelion : 2.22 – You can (not) advance en 2009 et Evangelion : 3.33 You Can (Not) Redo en 2012.
Si les films redynamisent l’ensemble, ils se permettent aussi quelques ajouts très importants comme, notamment, l’apparition du nouveau pilote d’un nouveau EVA, la troublante Mari Makinari Illustrious.
Mari, nouveau personnage important d’Evangelion
Evangelion : 2.22 – You can (not) advance nous amène à la fin de la série puisqu’il se conclut par le déclenchement du Troisième Impact sous l’action involontaire de Shinji tandis que Evangelion : 3.33 You Can (Not) Redo reprend 14 ans plus tard et change beaucoup de choses dans cet univers pour se conclure de manière dramatique avec… le Quatrième Impact.
Le dernier film du projet, pour le moment intitulé Evangelion : 3.0 +1.0 est quant à lui annoncé pour 2020 et devrait, cette fois être la vraie conclusion de la saga. Jusqu’à la prochaine fois ?
Pas vraiment une gueule d’ange ces Anges
Loin d’être une série comme les autres, Neon Genesis Evangelion est vraiment un cas à part dans l’industrie japonaise, voire dans l’industrie tout court. Elle a eu de grandes répercussions sur la pop culture mondiale et fascine encore aujourd’hui par sa richesse et sa complexité. Et sa présence en version remasterisée sur Netflix est une excellente occasion de tout se retaper en un week-end.
@madolic Je peux comprendre que tu trouves Code Geass surcôté , il emprunte à beaucoup de mangas et d’anime , mais ne serait-ce que pour cette fin magnifique , je me dois de le considérer comme un des meilleurs animes mécha .
Le chef d’œuvres parmi les les chef d’œuvres! Même si il y a un côté Devilman voir même Akira , Evangelion reste d’une puissance incroyable
@Kay1
Perso c’est Code Geass que je trouve très surestimé.
Par contre je comprends pas comment il peut y avoir de nouveau film avec une nouvelle fin.
Le réal n’est pas mort ?
Très bonne série que j’ai mis du temps à regarder .
Quel dommage que son personnage principal soit aussi insupportable ( bien moins insupportable grâce à la fin originale ( celle de l’anime ) qui est amene à une évolution du personnage ( ce qui est moins le cas selon moi avec l’autre fin )
Mais je suis de ceux qui considèrent que cette anime est un peu trop surcôté , surtout lorsque l’on voit des œuvres similaires tels que les Gundam ou encore Code Geass .
Mais il est vrai que cette anime a été une référence pour pas mal d’autres et qu’il a permis à l’animation japonaise d’évoluer en terme de protagonistes .
Série que je recommande vivement
Pas réussit à bien la commencer. après un précédent article de votre part louant cette série…
Au bout du 2-3ème épisode, j’ai lâché,car j’ai pas accroché: incohérence du monde (surface/souterrain) manque d’explication, rythme….
Je retenterai avec les films si ils passent dans mon champ de vision…
Remarquable série avec une fin trop torturee ! Et il y’a Pen Pen le pingouin qui boit de la bière et qui rote ! Trop fort
On me l’a vendu, cette série !
J’avais des attentes inversement proportionnelles à ce que j’ai vécu.
Une déception.
Shinji ne peut pas s’encadrer ? Moi aussi!
L’exercice est à la fois brillant et vain au point de taper sur l’italien de base sans aller au bout de son trip.
La fin de la série (tellement décriée mais vraiment puissante) montrait une évolution bienvenue de Shinji avant les films suivants qui en refaisait un emo frustré sans qu’il ré-évolue. Et cette fin…
Je me suis facepalmé tellement fort que j’en ai encore mal au crâne.
C’est comme si Anno avait guéri avant de rechuter sauvagement.
J’attends que le 4e film sorte pour enfin avoir une fin que j’espère moins vaine.
C’est surtout grâce à Devilman et donc au grand, à l’immense Gō Nagai que de telles séries (Hokuto no Ken, Berserk, Neo Genesis Evangelion, etc..) ont pu voir le jour. Il a démocratisé un genre.
De même, le film « The End of Evangelion » est quand même un sacré clin d’oeil à la fin du manga Devilman.
Série culte que l’on doit tous visionner !
Le bonus restera de multiples fins à la fois jouissives et w*f, tout en étant une grosse escroquerie scénaristique d’auteur surestimé ^^. Donc grand oui !
@StarLord
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