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Twin Peaks saison 3 : et si Lynch vous avait trollés comme des cochons ?

Par Simon Riaux
5 septembre 2017
MAJ : 21 mai 2024
58 commentaires

Adulé, ignoré, critiqué, porté aux nues… Le grand retour de David Lynch est bien parti pour être une source d’infinis débats.

Photo Kyle MacLachlan

Vingt-cinq ans après une deuxième saison à la conclusion énigmatique, David Lynch a ressuscité Twin Peaks le temps de dix-huit épisodes hébergés par la chaîne Showtime. Annoncé comme un évènement culturel de première importance, dévoilée au beau milieu du festival de Cannes, la série mythique a vu son come-back accompagné d’une presse élogieuse, pour ne pas dire dithyrambique.

Un peu partout (et ICI aussi) on célèbre l’audace d’un auteur culte, la liberté totale d’un créateur affranchi de tous les codes et une œuvre hors-normes, mutante et géniale. Sauf qu’à bien y regarder, ce qui nous est proposé aujourd’hui, ce contrat qui lie toujours artiste et public, n’a plus grand-chose à voir avec ce que furent Twin Peaks et sa prolongation filmique Fire Walk With Me.

Alors que retombe un peu l’excitation, après un final qui aura sans surprise provoqué la joie des fans, il est temps de se demander si David Lynch ne vous a pas trollés comme des cochons.

 

Photo Kyle MacLachlanL’emblème absolu de Twin Peaks

 

IL EST LIBRE LYNCH

Ce fut sans doute l’argument répété ad nauseam par les défenseurs de Twin Peaks, The Return : on n’avait jamais vu ça. Personne d’autre n’aurait osé. Une expérience inédite. Peut-être, mais pourquoi faire ? Repeindre l’univers élaboré avec minutie il y a 25 ans d’un jusqu’au-boutisme total n’est pas en soi un gage de réussite, de valeur ou d’une quelconque intégrité artistique. Ce n’est au final qu’une donnée : l’artiste a effectivement pu faire ce qu’il voulait de ce qu’il voulait. Au risque de piétiner totalement sa propre création.

Ce qui fit la force de Twin Peaks n’est pas tant le génie de Lynch que sa collaboration avec Mark Frost, auteur, scénariste et producteur de télévision émérite, parfaitement rompu aux rites du divertissement sériel et ses identités remarquables. D’un inventeur de formes en perpétuelle réinvention et d’un fin connaisseur d’un univers autrement plus normé (sur le papier) naquit un show à nul autre pareil, dont la puissance provenait justement de la formidable tension générée par le grand écart tenu par la production, entre délire arty et gourmandise feuilletonnante.

 

Photo

 

Quand Mark Frost remet à Lynch les scénarios de 9 épisodes programmés initialement, ce dernier décide d’en faire 18 épisodes. Un choix en toute liberté, pour étendre, explorer, dilater, errer. Mais un choix qui a totalement noyé l’apport de Frost, à savoir des arcs narratifs tenus, des enjeux bien réels, et donc une prise en compte du format de Twin Peaks, à savoir celui d’une série. Mais qu’importe nous dit-on, tant cela est libre.

 

DUJAMAIVU

Une expérience inédite. Vraiment ? Difficile de voir quoi que ce soit de nouveau dans l’interminable machin poseur déroulé péniblement par Showtime pour une poignée d’initiés. Les trips visuels incroyables de l’épisode 8 ? Lynch faisait mieux (et moins long) dans Eraserhead, et plus organiquement intégré au récit dans les dernières heures de la saison 2.

Les intermèdes musicaux ? Ils ont des airs de recyclage pauvrets de la géniale séquence de Mulholland Drive. Un discours tétanisant et fascinant sur la violence ? Il faut n’avoir jamais vu un film de Lynch et ne pas se souvenir d’une certaine boîte bleue pour ignorer que le metteur en scène fut un des plus habiles analystes de la terreur par l’image.

 

Photo Laura DernLaura Dern, toujours aussi impressionnante en égérie protéiforme

 

Des personnages intrigants, dont la déshérence nous fascine ? Lost Highway avait en la matière réservé quelques chutes et bégaiements vertigineux à Bill Pullman et Patricia Arquette, qui revisitaient déjà brillamment l’espace mental cauchemardesque… de la Black Lodge des deux premières saisons de Twin Peaks. Et si l’émotion fut par endroit au rendez-vous, non seulement elle tient sans doute plus aux souffrances endurées par le spectateur pour se voir chatouillé dans le sens du poil à coups de « I am the FBI », mais ce syndrome de Stockholm télévisuel fait pâle figure en comparaison des joyaux émotionnels réalisés par le cinéaste : Une histoire vraie et Elephant Man.

Twin Peaks : The Return n’est certainement pas un trip inédit, c’est un best-of exhaustif, des meilleurs tours d’un vieux magicien, curieusement appréhendés comme une révolution par ses dévots. Un peu comme si les fans hardcore de David Copperfield profitaient d’un retour inattendu du magicien pour nous convaincre de la validité de ses expérimentations capillaires.

 

PhotoUne scène emblématique de la saison, entre perfection plastique, nostalgie et happening musical

 

LOST MULHOLLAND EMPIRE

Pour qui aura suivi (sur les réseaux sociaux, forums et autres sites spécialisés) les discussions entre spectateurs, un spectacle surréaliste s’est déroulé, alternant interjections de frustration après des enchaînements d’épisodes en forme de doigt d’honneur narratifs, puis les hourras de soulagement quand le Maître daignait soudain laisser à son public quelques maigres miettes d’intrigue à boulotter.

Tandis que tout le monde semblait se féliciter du fait que Lynch n’ait pas cédé aux sirènes de la nostalgie ni proposé une copie creuse du Twin Peaks d’hier, il était pourtant évident que le metteur en scène se livrait par le menu et sans jamais dévier d’un iota, au programme attendu de lui.

Reprenant les expérimentations et les tics de ses trois derniers films (lesquels correspondent à son sacre sur le trône d’auteur intouchable), il les dilate avec emphase – « Helloooooooooo » – les sur-joue, multiplie, amplifie. Soit précisément ce que réclamaient à corps et à cris une grande partie de ceux que ce retour inespéré stimulait. Personne n’a pu décemment être surpris par la proposition de Lynch, c’est l’exacte répétition de ces derniers gestes artistiques.

 

PhotoCooper, aussi comateux que le spectateur ?

 

En témoigne le double mouvement des deux épisodes finaux, ou l’artiste fait d’abord mine de conclure et compléter nombre de ses intrigues, pour finalement déboucher sur une nouvelle série d’énigmes et de simili-concepts. Cliffhangers classiques censés nous accrocher encore un peu plus à tous ces mystères ou ultime pirouette goguenarde d’un réalisateur trop conscients des lapins qu’on attendait de le voir sortir de son chapeau ? Tout est faux, proclamait avec malice un monsieur Loyal de pacotille devant Naomi Watts et Laura Harring il y a quelques années, anticipant dans un même mouvement le devenir de Twin Peaks, et sa réception future.

Pour un peu, on prêterait presque à l’artiste une ironie telle qu’on le croirait capable d’avoir fait de Dale Cooper, absent à lui-même pendant la quasi-totalité de cette saison 3, finalement réveillé pour un petit coup de yoyo émotionnel avant d’être finalement renvoyé à pas grand chose, une métaphore de son propre public, maintenu dans une léthargie forcée et consentie, seulement autorisé à se réveiller pour mieux éteindre la télé. 

 

PhotoEt ce n’est pas comme si Lynch ne savait plus comment emballer des séquences incroyables…

 

REVOLUTION SILENCIEUSE

Enfin, et si évidemment le temps décidera de l’influence réelle de cette troisième saison sur le paysage audiovisuel, la réalité vient pulvériser avec une relative cruauté les louanges tressées depuis des mois par les avocats du show. On se souvient qu’en quelques épisodes, Twin Peaks avait su en 1990, à une époque où n’existaient pas de réseaux sociaux pour maximiser l’écho des débats, faire tourner la tête à une génération et ouvrir un incroyable champ des possibles.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette saison 3, décrite comme un accomplissement transcendantal, capable de redonner inspiration et fertilité à tous les fidèles qui poseraient les yeux ? 300 000 malheureux croyants de la première heure, d’après les chiffres de Showtime, soit un score plutôt faible, dont on dira qu’au mieux il s’inscrit dans la moyenne basse des productions proposées par le network.

 

PhotoOn n’est pas convaincus que Lynch se soit autant pris la tête en réalisant cette saison…

 

C’est pire que peu pour la suite d’un chef d’œuvre qui avait su rassembler des publics si différents et vastes, dans une communion interrogative inédite. Non, Twin Peaks n’est plus un évènement, mais bien un happening nostalgique, où un carré de fanatiques célèbre une figure qui s’est caricaturée jusqu’à disparaître, jusqu’à ne plus rien créer qui ne tende pas vers un pastiche involontaire de son génie d’hier.

Faut-il pour autant bouder son plaisir ? Bien évidemment non, et ceux qui trouvent dans cet appendice nécro-fétichiste de Twin Peaks une source de bonheur, d’exégèse ou une stimulation quelconque ont bien raison de le crier sur les toits (ou de l’écrire chez nous).

Mais alors que la poussière commence à retomber, et que l’on y voit un peu plus clair, il semble de plus en plus évident qu’y voir autre chose qu’une friandise nostalgique tient de l’hallucination, ou de l’autosuggestion bourrine.

 

Photo Kyle MacLachlan

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Charly Lee

Je viens de revoir la saison 3 six ans après donc… et je viens de me rendre compte que je n’ai rien vu de mieux entre temps … le temps fait son œuvre et la proposition de Twin Peaks saison 3, anti Netflix au possible, à tous les niveaux, résonne différemment aujourd’hui. A l’heure où les programmes américains vont se faire plus rares ces prochains mois, espérons que Twin Peaks saison 3 trouve enfin son chemin, débarrassée de l’aigreur de certains à sa diffusion…

Fargus52

Que dire, j en suis a l »épisode 8 , fan des saisons 1 ,2 et du film …Là je suis consterné par disons le clairement « du foutage » de gueule de Lynch…Du non-sens sous couvert d art…Un galimatias auditif , visuel… Du remplissage qui cache le manque d inspiration ….

Un désastre… Pseudo-intellectuel …

Bravo à ceux qui aiment .

jeanclau0675

Salut à tous les critiques. J’ai vu toutes les œuvres (sic) de Lynch, mais pas encore la troisième saison. A la lecture de toutes ces critiques, du ressort d’une table de dissection, je suis impatient de me la procurer. Et pour faire la critique des critiques, je ne retiendrai que celle de MatMat pour la bonne raison que c’est la SEULE qui mentionne le terme ART. Mention spéciale pour le sens artistique de Sawyer qui ne mettrai pas un Picasso dans ses chiottes… Signé Un troll heureux d’être pris pour un cochon.

Guigui le gentil

« balblabla… la fin est géniale… blablabla… On aurait pu imaginer, par exemple, que Norma et Ed n’auraient jamais été amoureux, que Benjamin Horne n’aurait pas été un chef d’entreprise carnassier mais aurait eu un boulot quelconque, que Nadine n’aurait jamais été fofolle… etc… etc… »

Ça, mon gars, comme je l’annonce dans mes vidéos entre 2 donuts, sera sans doute la saison 4 🙂

Guigui le gentil

Est-ce qu’on a été « trollé » : quelque part oui et c’est justement ça qui était bon 🙂
Désolé les gars de ne pas rebondir sur tous les commentaires et repartir sur des débats, mais j’ai déjà du mal à lire et répondre à tous les commentaires de mes vidéos, donc ici je me contente de lire les articles et juste rebondir sur Sawyer.

Dis donc, le debrief de l’épisode n’est pas si creux que ça. Il y a tout de même un débat de 20 Minutes avec Alexandre Letren de l’émission de radio LA LOI DES SÉRIES. Cette vidéo a été faite à chaud, 10 minutes après avoir maté l’épisode. J’en ai fais une définitive de 27 minutes, où j’analyse ce final plus en détail, c’est plutôt ça qu’il faille regarder 🙂

MatMat

Le 18ème épisode est à part : il ne ressemble a aucune des 3 saisons.
Une vraie merveille

The Man from Quantic World

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 theowlsarenotwhattheyseem
Hilarant ! Fortement apprécié ton lien ! See you soon in another reality…

The Man from Quantic World

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Mattmatt
Désolé, tu ne nous as pas du tout compris ! Aucun plaisir à zigouiller ce roublard de Lynch ! On aurait largement préféré, comme vous, adorer et encenser cette troisième saison ! Nos critiques sont en réalité à la mesure de notre déception : 25 ans d’attente ! 1 chance sur 1 million qu’une suite soit mise en chantier ! Et tout ça pour en arriver là…
Au contraire, je vous envie vraiment de l’apprécier…

The Man from Quantic World

Bref, les pro et les anti-saison 3 demeureront irréconciliables pour l’éternité ! Et celui qui doit bien se marrer face à tous ces débordements d’amour/haine, c’est bien Lynch ! Cela résume, dans le même temps, tout son cinéma fait de contrastes à l’image de Dougie (L’innocence absolue qui fait naitre le meilleur chez les autres) et de Mister C (Le Mal Incarné qui sème la mort sur son passage) !!!
Je rejoins Sawyer sur lé 18ème épisode ! (Les séquences de nuits sur route et à la station, le vent remuant les sapins sur le parking en plein jour) ! Un véritable expérience cinématographique et une très belle leçon de cinéma ! Toute l’atmosphère et la qualité de mise en scène de cet épisode sont complètement absents de 17 autres épisodes, à l’exception du 8ème ! A croire que le Doppelganger de Lynch a pris sa place tout au long de cette saison… Une saison schisophrène, en somme où le pire cotoie quelques bribes de grâce.

theowlsarenotwhattheyseem

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 tous

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