Revoir Paris : critique qui retient (un peu) ses larmes

Simon Riaux | 7 mars 2023 - MAJ : 08/03/2023 09:33
Simon Riaux | 7 mars 2023 - MAJ : 08/03/2023 09:33

Comment raconter le désarroi qui survient après la violence et la peur ? En auscultant le quotidien d'une femme ayant survécu à une vague d'attentats, la réalisatrice Alice Winocour (Maryland, Proxima) nous propose de Revoir Paris avec Virginie Efira et Benoît Magimel.

FLASH-BACK

Quelques mois seulement après le procès des attentats du 13 novembre, qui occupa pendant 9 mois les citoyens français, les médias, l’appareil judiciaire et de nombreuses parties civiles, Revoir Paris sort au cinéma. Récit d’une reconstruction, on y suit Mia, survivante d’une série d’attentats survenus en plein Paris, en lutte avec une mémoire fragmentée et le désir de se confronter aux shrapnels de celle-ci.

Confrontation qui s’incarne ici doublement, puisque si le spectateur suit le parcours erratique de la protagoniste, contre ses souvenirs, ses proches et ce que lui intiment les autres survivants, il doit aussi faire face à l’attraction/répulsion qu’engendre chez le spectateur le projet d’encapsuler au sein d’une fiction des attentats parmi les plus meurtriers de l’histoire de France.

 

Revoir Paris : photo Virginie EfiraL'histoire d'un après

 

Comment transformer une tragédie et un traumatisme collectifs en narration de cinéma au sein d’une culture cinématographique encore rétive à la captation ou recréation du réel, du fait historique ? Tout d’abord semble assumer Alice Winocour, en ne se dissimulant jamais derrière les artifices du médium, mais en investissant au contraire l’infinie palette d’effets qu’il propose, en revendiquant justement son essence fictionnelle, avec ce qu’elle contient d’imperfections, et ce qu’elle autorise de libertés.

Renvoyer l’horreur au hors-champ aurait sans doute été une facilité aussi invalidante que verser dans la complaisance, ou l’enregistrement froid d’une violence insoutenable. Il faudra donc trouver une ligne de crête, et la conserver en investissant les moyens singuliers que met à disposition le cinéma.

 

Revoir Paris : photo Virginie EfiraExtérieur cuir

 

CEUX QUI RESTENT

Une fenêtre close, un lent traveling démarre. Au-delà des vitres se dessine cet enchevêtrement de toits et de façades anarchiques, bien loin des perspectives haussmanniennes de vastes boulevards ornés de monuments géométriquement alignés qui ornent tant un certain cinéma français que les cartes postales à destination des grappes de touristes qui les arpentent. Quelques notes de musiques résonnent gravement. Alors que nous suivons le début de soirée contrarié de Mia, nous comprenons que la caméra de Winocour ne reculera pas, et s’apprête à se confronter à la représentation de l’horreur.

Celle-ci surgit soudain, impressionne par sa justesse. La précision des cadres, composés pour rendre saisissante la violence sans s’attarder ni sur ses ravages immédiats ni sur ses auteurs. Le travail du son, le son des chaussures écrasant les éclats de boiseries, les filaments de nappe ou les bris de verre saturent progressivement les tympans du spectateur, avant que le bruit sourd des corps heurtant le sol ne recouvre progressivement l’atmosphère. Coupure au noir. Ellipse.

 

Revoir Paris : photo Benoît MagimelMagimel, un des nœuds émotionnels du récit

 

Après cette ouverture éreintante, nous retrouvons Mia dans un quotidien à la fois paralysé et précipité. Elle veut tourner la page, mais n’y parvient pas, voudrait se débarrasser d’une terrible cicatrice, mais doit attendre. Avancer, tout en retournant sur les lieux de son trauma.

Ce double mouvement, fascinant, douloureux, mais insoluble, semble inspirer Alice Winocour qui surprend par l’acuité avec laquelle elle enregistre les déambulations de son héroïne. Qu’elle scrute la montée d’une irrépressible émotion sur le visage de Virginie Efira, ou sa progression décidée dans les rues de la capitale, ce qu’elle capture ici étonne, comme si la peine et la brutalité qui innervent cette histoire donnaient un sens nouveau, primaire, au titre de son long-métrage. C’est bien de Revoir Paris dont il est ici question, de l’aborder sous un œil neuf, mais pas dénué de vécu, ainsi que le traverse sa protagoniste. 

 

Revoir Paris : photoDes lignes de fuite

 

VISER LE COEUR 

Avec Maryland puis Proxima, un thriller et un drame avec l’exploration spatiale en toile de fond, la metteuse en scène avait exploré des univers assez éloignés du tout-venant de la production hexagonale. On retrouve dans son nouvel effort ce sentiment de déracinement désenchanté, ce foisonnement articulé autour d’un sens du montage comme de la photographie très spécifiques. Tantôt naturaliste, tantôt extrêmement stylisé, le film s'inquiète seulement de traduire le flux de pensées, le ressenti parfois chaotique de son personnage principal. Le monteur Julien Lacheray est de nouveau à la manœuvre, tandis que Stéphane Fontaine remplace à la photo son collaborateur attitré, George Lechaptois.

Mais cette nouvelle alliance s’avère des plus constructives, tant la plupart des séquences axées autour de la reconstruction mémorielle et de l’acceptation, aux côtés d’un stupéfiant Benoît Magimel, font œuvre de modestie et d’orfèvrerie. Au-delà de l’admiration pour l’intelligence du positionnement, c’est la capacité à transfigurer le factuel par le narratif, en d’autres termes, la recherche d’une vérité plutôt qu’une réalité, qui émeut. Et c’est tout ce qui importe finalement dans le geste de la cinéaste, donner à panser plutôt qu’à penser.

 

Revoir Paris : photo Benoît Magimel, Virginie EfiraUne pluie de néons

 

Pour ce faire, elle s’appuie grandement sur sa comédienne, dont la prestation est une nouvelle fois admirable. Et pourtant, Efira doit aussi composer avec les faiblesses d’un scénario qui se perd par endroit. En effet, le personnage de Mia confère à l’ensemble une chair à ce point sensible que l’arc qui la voit s’enquérir de l’identité d’une victime, d’une maladresse extrême, est rapidement recouvert par la puissance évocatrice de l’ensemble. Comme si l’actrice autorisait la protagoniste à remettre sur pied son spectateur en accomplissant sa mission initiale, celle de traductrice, levant pour nous le voile sur l’effroi et l’impensable inhérents à toute catastrophe.

Parce qu'il aborde une héroïne complexe en s'efforçant de n'oublier aucune de ses facettes, qui à embrasser les plus fragiles, le long-métrage nous tend un miroir brisé, dont tous les éclats ne jouissent pas de la même réflexion. Reste qu'en dépit d'une sous-intrigue aux accents un peu paternalistes, dont la candeur vire un peu à la naïveté pré-fabriquée, le parcours de Mia contient suffisamment d'irréfragable espoir pour nous tenir sinon, en vie, au moins en haleine.

 

Revoir Paris : Affiche française

Résumé

Et si toute la grâce fragile et précieuse du long-métrage d'Alice Winocour tenait précisément dans la promesse de son titre ? Revoir Paris parvient contre toute attente à renouveler notre regard sur une Cité et ceux qui la peuplent, y compris dans la douleur. Et tant pis si cette errance parfois lumineuse se paie au prix de quelques approximations narratives.

Autre avis Alexandre Janowiak
Avec sa belle sensibilité, Revoir Paris accompagne ses personnages en reconstruction avec grâce et retenue, les observant chercher les pièces manquantes d'un puzzle traumatisant, espérer recoller les morceaux pour arrêter de survivre, mieux renaître et recommencer à vivre. Poignant !
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Lecteurs

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
07/03/2023 à 21:43

@turlute

Critique republiée pour diffusion tv. Les articles de Simon restent sur le site, comme ceux que tous les anciens de l'équipe.

turlute
07/03/2023 à 21:35

Simon Riaux a fait un comeback ou je rêve ? Sinon super film

Corsica44
05/03/2023 à 00:45

Je ne suis pas un cinéphyle accro des salles du 7eme art ,mais ce soir mon épouse désirait voir ce film sur canal VOD .Moi le passionné de football et surtout prévoyant une soirée devant un autre écran pour mon équipe de coeur le FCN,j'ai regardé avec bonheur ce film qui s'il ne cite aucun évènement précis nous rappelle cette soirée terrifiante du 13 novembre 2015 ;Ainsi le compagnon de l'actrice principale reçoit un appel télephonique lors d'un diner avec sa concubine ;Puis il précise par la suite qu'il avait été appelé en urgence (médecin)par son service de chirurgie....mais qu'importe ,ce film est à voir et revoir ;Aucun temps mort ,pas de fausses notes ,chapeau les artistes !

Morcar
07/09/2022 à 16:55

Un film que j'ai envie de voir. Mais pour ça il faudra que je me décide au hasard d'un jour, quand j'aurai le moral pour aller suivre cette histoire, car on devine qu'émotionnellement ça doit être sacrément éprouvant.

Arnaud (le vrai)
07/09/2022 à 14:37

Un film que j’ai à la fois envie de voir et à la fois que je crains tant ça va remonter des souvenirs douloureux de cet événement …

D’ailleurs en lisant la critique de Simon, le film ne parle pas des attentats du Bataclan mais d’attentats sans jamais les nommer c’est ça ? C’est pas un film sur CES attentats mais un film sur DES attentats ?

Bref un film que je regarderai forcément un jour mais avec une appréhension énorme d’un point de vue émotionnel

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