Gemini Man : critique 120 baffes par seconde

Simon Riaux | 3 avril 2022 - MAJ : 19/10/2023 16:32
Simon Riaux | 3 avril 2022 - MAJ : 19/10/2023 16:32

Depuis les premiers courts-métrages muets, en noir et blanc, le cinéma a connu de profondes mutations, des soubresauts révolutionnaires qui ont accompagné son histoire. C'est ce rôle qu'entend jouer Gemini Man. Mais ce duel entre deux Will Smith, filmé en 4K, 3D et 120 FPS par Ang Lee a-t-il les épaules pour nous secouer les mirettes ?

120 FRAPPEMENTS PAR SECONDES

Dans Gemini Man, Will Smith incarne un soldat spécialisé dans les assassinats de haut vol, confronté à son propre clone, chargé d’éliminer l’encombrant vétéran. De la même manière, Ang Lee confronte son art de la mise en scène, éprouvé du temps du cinéma analogique, aux dernières évolutions technologiques. Tourné en 3D HFR 120 FPS (soit à un ratio de 120 photogrammes par image, contre 24 actuellement pour l’essentiel de la production internationale), autorisant de projeter le film en 2D avec une fréquence de 120 images/seconde ou en 3D à raison de 60 images/secondes pour chaque œil, le film propose tout simplement une expérience inédite, jamais vue sur un écran.

Dès le premier plan de Gemini Man, et tout au long de son introduction, à la mise en scène pourtant extrêmement ample et sereine, la révolution est palpable. La quantité de détail, la sidérante fluidité du moindre mouvement, la profondeur de l’image et la puissance des couleurs provoquent un sentiment d’hyper-réalité sensationnel.

Le procédé confère à des effets digérés par le spectateur depuis des décennies une grâce nouvelle : une balance de points, une silhouette passant au flou, une bascule de la caméra vers un reflet, ou un traveling nous amenant d’un espace ouvert jusqu’à une pièce close, deviennent autant de gifles filmiques.

 

Gemini Man : photo, Will SmithUne technique au service de l'action

 

Le plus infime balancement, chaque inflexion de sourcil apparaît comme neuve et voit sa puissance dramaturgique décuplée. Dès lors que le scénario s’emballe et que surgit la première grosse scène d’action, c’est une euphorie inimaginable qui s’empare de la cornée de l’observateur. Le foisonnement des particules, l’illusion d’une danse guerrière inarrêtable et parfaite se renforce jusqu’au vertige.

Que la caméra suive simplement Will Smith à moto dans les ruelles de Carthagène ou s’élance à la suite d’une grenade, l’immersion est démultipliée, les impacts accrus, le blast palpable. Énergisée par cette vigueur renversante, la caméra peut se permettre un découpage simple, mais racé, multipliant les actions au sein d'un même plan, toujours avec un souffle, une portée, qui laisse le spectateur tremblant.

 

photo, Mary Elizabeth Winstead, Will SmithWill Smith et Will Smith Mary Elizabeth Winstead

 

LA PAIRE DES CLONES

Ang Lee ne se contente pas de jouir d’un artefact technologique dont il n’aurait que faire. Tout son film dialogue avec cette question de la technique à l’écran et de son sens. Assumant la nature artificielle de l’avatar de Will Smith, il se plaît à jouer avec sa réalité, faisant de l’Uncanney Valley (« vallée de l’étrange » ou sentiment de trouble qui saisit le public quand il assiste à une illusion si proche de la perfection que le moindre défaut en devient une mutilation) un argument dramaturgique.

 

photo, Will Smith Will Smith

 

Jusqu’où la narration peut-elle pousser l’artifice ? Quand le réel est-il poussé dans ses retranchements et quand cesse-t-il d’exister, et donc de nous émouvoir ? C’est l’interrogation portée par les personnages, dont les actes font toujours sens, et remettent en question leur humanité. Le cinéaste se garde ainsi bien de noyer son métrage sous des déluges d’artificialité et orchestre une belle confrontation entre une star de chair et son duplicata de bits, nous amenant toujours à remettre en question qui est le vecteur de l’humanité, qui est moteur de l’action.

Et lorsque nos deux héros ont enfin l'occasion de se sonder, réunis dans une nécropole diablement cinégénique, le duel qui s'annonce, grâce à cette fréquence de 120 images par secondes, se fait mise en abyme. Malgré l'hyper-netteté, en dépit d'un découpage limpide, il n'est soudain plus possible de distinguer l'homme de son double numérique. Et à chacun de se demander qui affronte quoi, qui survivra, et dans quel but ? La possible victoire de Will Smith ne serait-elle en fin de compte qu'une ultime goulée d'oxygène avant le triomphe annoncé des algorithmes corvéables à merci ?

Gemini Man a l'intelligence de ne pas tout à fait trancher, et de se poser sans cesse la question de l'usage de l'arme (de l'effet) plutôt que de condamner son existence. Peu importe que vous soyez une machine pour peu que votre cerveau de synthèse vous fasse croire à la douleur.

 

photo, Will Smith Will Smith, à droite (et un peu à gauche aussi)

 

FILM À LUNETTES

Pour autant, difficile de recommander Gemini Man si vous ne pouvez le visionner dans les conditions optimums que sont celles d’une projection en HFR. Pour révolutionnaire que soit le dispositif, pour surpuissantes que soient les sensations générées par cette technologie qui reconnecte brutalement le 7e Art à ses origines foraines, faites de fascination et de toute-puissance du spectacle, pas sûr que le film survive à son procédé.

En effet, si le métrage n’est jamais désagréable, on sent bien qu’il est intégralement dédié à sa mission, magnifier une manière nouvelle d’aborder le divertissement et sa physicalité, bien plus qu’il n’entend proposer une œuvre scénaristiquement et thématiquement aboutie. Ang Lee est un excellent réalisateur, qui se comporte ici en artisan soigné, mais jamais totalement investi dans son récit.

 

photo, Will Smith, Clive Owen Clive Owen et Will Smith (enfin presque)

 

Ce dernier est fonctionnel, trop bavard malgré des dialogues soignés, et échoue un peu à renouveler les formats de l’action dans son climax. Ce dernier est pourtant traversé d’images fortes, d’hommages qui amuseront les fans d’Uncharted, mais ne se révèle pas aussi fort que l’orgasmique affrontement central, véritable morceau de bravoure du film.

Série B d’action sympathique, mais finalement assez convenue dans son architecture, Gemini Man vaut par et pour la 3D 120 fps (baptisée dans l’hexagone « 3D+ »), qui dévoile le cœur explosif du film.

 

Affiche française

Résumé

Visionné en 3D HFR, Gemini Man passe de série B d'action sympathique mais convenue à tornade euphorisante, offrant au spectateur un raz-de-marée de sensations inédites.

Autre avis Geoffrey Crété
C'est bien beau cette démonstration de force qui offre parfois des plans ou effets sensationnels, mais Gemini Man a oublié quelques détails : un scénario, des personnages, un antagoniste, et des idées dans l'action et les chorégraphies. Une triste carcasse vide qui se traîne, pour la gloire technologique.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.8)

Votre note ?

commentaires
Flo
05/04/2022 à 12:34

Will Smith met des tartes à tout le monde, y compris lui-même.
Un film où ça s’est beaucoup touché dans la Presse à propos de la technique HFR 3D 60 images par secondes etc… Et pour le double numérique sympa de Will. Bref pour la performance de l’image, l’expérience incroyable, le but esthétique qu’essaie d’atteindre Ang Lee depuis quelques années…
Sauf qu’en dehors des salles spécialisées, tout le reste ? Il faudrait qu’il y ait un film capable d’explorer lui aussi les possibilités du pitch et du concept.
Et ce n’est pas le cas, au contraire on dirait que la technique façon « nouveau riche qui expérimente » a tellement pris de place qu’il leur aura fallu économiser sur ce qu’il y a bâti autour :

Une image si nette qu’elle passe pour un téléfilm de luxe une fois passée sur un format plus classique – même pas la présence d’esprit de concocter une version à la photo un poil plus stylisée, ambiancée ;
Cadre souvent vide de figurants ;
Comédiens pas toujours bons, sans compter d’obscurs seconds rôles n’évoquant rien ;
Homogénéité numérique qui, dans les combats, transforme souvent les personnages principaux en surhumains de bandes-dessinées, sans qu’on comprenne pourquoi… D’ailleurs les incohérences sont légions, la musique et les dialogues omniprésents sont usités, les fautes de goût et traits d’esprit tombent à plat aussi, bref le potentiel très dramatique n’est pas là car il faut pouvoir se rentabiliser avec un film d’action à la Will Smith, finalement bien gentillet – comme l’acteur, encore trop jeune et fringant pour être suffisamment crédible en vieux briscard cassé et rude, même si le comédien était déjà en plein dans sa grande introspection sombre à cette époque.

Calcul mal placé, on oublie alors que le thème du vieux et de son double jeune, ça marche déjà très bien au cinéma avec deux acteurs différents (et ce n’est souvent pas très bon quand ça utilise des clones, voyez « À l’aube du sixième jour », ou bien l’adversaire final dans « Logan »). Et que c’est évident dès le début que l’expérience bât la jeunesse…
Que le sujet sur la bioéthique est traité sous des angles ridicules (le père de substitution grimaçant se prend aussi pour un producteur de blockbusters ayant son propre studio)…
Que la question de l’habileté et de la personnalité, qui seraient soumises à la génétique plus qu’à l’éducation, c’est une idée assez laide qui leur fait peur.
Enfin, le pire étant qu’il s’agit d’un film qui, s’il ne prend son intérêt réel qu’en étant visionné dans des conditions optimales spéciales, devient alors une négation de ce qu’est le Cinéma : un sortie qui soit tout sauf élitiste, qui puisse donner le même plaisir dans n’importe quelle salle ayant un tant soit peu de qualité.
Donc, il ne s’agit rien d’autre ici que ce fameux « spectacle de parc d’attractions » qui fait râler les vieux cinéastes.
Et, à la télé, d’un bon petit divertissement.

Kyle Reese
04/04/2022 à 14:24

@Morcar

Bien vu, qu'est ce que j'ai pu écrire comme c*nneries ! ;)

RobinDesBois
04/04/2022 à 12:19

Je pensais aussi à un remix du titre !

Morcar
04/04/2022 à 12:13

@Kyle, relis un de tes commentaires plus bas dans la page, tu verras qu'à l'époque tu avais déjà rebondi sur le jeu de mot du titre, sans savoir quelle signification il prendrait deux ans plus tard ;)

Morcar
04/04/2022 à 12:04

J'ai regardé le film hier soir, et s'il n'est pas mauvais, c'est juste un film d'action lambda, avec la particularité technique d'avoir rajeuni Will Smith et de le mettre face à lui-même. En dehors de ça, le scénario est d'une banalité et platitude assez désolante. Autour de Will Smith, il n'y a bien que MA Winstead qui arrive à tirer son épingle du jeu.
Techniquement, certaines scènes de combat donnent cependant un résultat étrange. On voit parfois trop l'effet numérique, un peu comme le combat de Néo contre plein de Smith dans "Matrix Reloaded", et j'ai cru voir des accélérations étranges par moment. Peut-être est-ce dû au fait que le film soit prévu en 120 images par secondes à la base.
Mais quand je lis certains commentaires disant qu'il faut voir le film en 120 ips et je ne sais quoi d'autre pour l'apprécier, je me demande si c'est un film où une attraction du Futuroscope. Je ne fais pas partie de ceux qui comme Scorcese parlent d'attraction concernant les Marvel, mais là je me pose la question.

Si une fois cette particularité technique retiré, le film devient juste moyen-bof, à la limite du mauvais, c'est que de base il n'est pas réussi, selon moi.

Kyle Reese
03/04/2022 à 22:45

@Geoffrey Crété

Simon Riaux a donc le don de divination ...
'est un epu le Dr Strange du site ! ;)

Matrix R
03/04/2022 à 20:06

En terme de claque, celle donnée aux Oscars est nettement meilleure que celle daube

Geoffrey Crété - Rédaction
03/04/2022 à 19:54

@Kyle Reese

Aucun remix, c'est le titre de l'époque !

Kyle Reese
03/04/2022 à 19:46

Rah. Ce remix du titre de l’article. Très bon !
Ça va lui coller à la peau. Et bientôt un nouveau super héros dans l’in des prochains épisode des Simpsons … Baffe-man, Slap-man en vo.

Miami81
27/04/2021 à 01:05

Pas vu en 3D HFR, du coup, hormis la scène de poursuite à carthagène, le film ressemble plus à du DTV. Le budget de 130 millions de $ semble totalement englouti dans l'effet 3D HFR et le rajeunissement de Will Smith. Lent, mou, inutilement bavard, Ang Lee prouve une fois de plus. qu'il n'est pas fait pour le genre action. Will Smith ne semble pas très impliqué et nous joue plus un Denzel Washington désabusé qu'un dynamique Will Smith doué d'une grande palette de jeu et c'est regrettable. Le reste du casting semble ne pas servir à grand chose hormis Marie Elizabeth Winstead qui à défaut d'avoir un réel charisme voit son personnage passer d'un simple agent de surveillance en une machine à tuer d'une efficacité redoutable. Le pire arrive sur le final où on tombe dans le grotesque, que ce soit sur le climax ou sur l'épilogue.

Plus
votre commentaire