Freaks Out : critique d'un film de super-héros monstre

Mathieu Jaborska | 28 mars 2022 - MAJ : 30/03/2022 12:06
Mathieu Jaborska | 28 mars 2022 - MAJ : 30/03/2022 12:06

Dans On l'appelle Jeeg Robot, l'Italien Gabriele Mainetti se réappropriait et brusquait un peu la mode des super-héros avec trois francs et six sous. Auréolé d'un succès mérité, il revient avec un budget autrement plus conséquent et un pitch autrement plus ambitieux. Freaks Out prouve presque à lui seul que les alternatives européennes aux produits hollywoodiens formatés ont un bel avenir devant elles.

We can be heroes

Dans un cirque, un spectacle commence. Tour à tour, les numéros s'enchainent et les artistes dévoilent des talents un peu trop spectaculaires pour être factices. Mais alors que tout le monde salue, le chapiteau s'effondre sous le poids de l'histoire et laisse la violence du monde extérieur envahir cette petite bulle d'émerveillement. Dès sa splendide scène d'introduction, Gabriele Mainetti se place dans le sillage de Guillermo del Toro. Sans un dialogue, tout en mouvements de caméra gracieux, il prend le temps de cerner la beauté de ses personnages de freaks et leur fragile solidarité, avant de les plonger dans les tumultes de la guerre au gré d'un plan-séquence éprouvant, malmené par le ballet des bombes.

 

 

Une démonstration de caractérisation et de mise en scène qui rappelle forcément l'approche du réalisateur de L'Échine du diable, au point d'ailleurs de lui emprunter son goût pour les insectes, et qui résume les ambitions du film. On l'appelle Jeeg Robot réinvestissait son budget dérisoire dans la création d'un super-héros plus proche de nous (et des Italiens), mais qui correspondait tout de même aux canons de la culture pop, un peu à la manière du très joli Vincent n'a pas d'écailles en France.

Logiquement propulsé espoir du divertissement européen après ce tour de force, le metteur en scène passe à l'échelle supérieure (le tout dure 2h20 !) sans se soustraire, comme son modèle, à l'influence du cinéma grand public.

 

Freaks Out : photoBande à part

 

La petite troupe qui nous est présentée ici et qui se retrouve face à son destin au milieu d'une Italie rongée par l'envahisseur nazi fait écho à l'équipe des X-Men : Mario est un clown attirant les objets métalliques, Fulvio est un "loup-garou" plus malin que son apparence ne le laisse penser et Matilde une jeune femme incapable de toucher qui que ce soit. À l'instar de leurs homologues américains, ils ont dû composer avec leurs pouvoirs dès leur naissance et ont arrêté de les subir lorsqu'ils ont commencé à cheminer ensemble, sous l'égide d'un mentor bienveillant. Mais les grandes instances politiques du moment vont tenter de les accaparer.

Freaks Out convoque donc à la fois la poésie merveilleuse de del Toro et les thématiques du comic-book américain. En résulte une fresque attachante et parfois cruelle, qui atteint par moments, et notamment lors d'un climax explosif virant au film de guerre pur et dur, l'ampleur d'un vrai grand spectacle. Sa facture technique y est pour quelque chose. Enfin à la tête d'un projet à la hauteur de ses ambitions, Mainetti s'entoure d'artistes de talent et poursuit le maître mexicain sur le plan visuel. Les décors impressionnants défilent, magnifiés par une direction artistique irréprochable, une photographie soignée et des effets spéciaux plus qu'honnêtes. Du travail d'orfèvre, de passionné.

 

Freaks Out : photo, Aurora Giovinazzo, Giancarlo Martini, Claudio Santamaria, Pietro CastellittoUn quatuor très attachant

 

Le bon côté de l'histoire

Là est le vrai atout du film : contrairement à beaucoup de ses semblables, il ne se contente pas d'étaler ses références avec cynisme, espérant glaner l'approbation d'un public cinéphile. Il préfère se réapproprier leurs qualités. Là où les X-Men, par exemple, vivent la majorité de leurs aventures cinématographiques dans le monde contemporain, Freaks Out embrasse les heures sombres de l'histoire européenne, et ce non sans courage. On connait la méfiance de la critique - parfois justifiée - envers les récits historiques de fiction, a fortiori avec des éléments fantastiques.

Sauf que l'honnêteté de la démarche, qu'on imagine mal trouver mécène aux États-Unis, évite au long-métrage bien des pièges. Sur un terrain glissant, Mainetti et son co-scénariste Nicola Guaglianone trouvent un équilibre entre le symbolisme issu du genre super-héroïque et un récit historique qui ne minaude pas avec la brutalité de la situation. D'ailleurs, le film n'est pas à mettre devant tous les yeux : il ne camoufle pas la violence de la guerre derrière des ellipses et autres subterfuges.

 

Freaks Out : photo, Franz RogowskiFC nazi

 

Il doit cet équilibre à sa galerie de personnages secondaires, et en particulier à son méchant, joué par Franz Rogowski, lui aussi béni (ou maudit) de plusieurs dons, assez étonnants. Il intériorise le conflit qui sous-tend les enjeux, entre l'eugénisme terrifiant du régime nazi et la singularité des freaks, qu'ils soient des forains en quête de travail ou des résistants éclopés qui font la guérilla dans les forêts romaines (menés par un Max Mazzotta en pleine forme). Il est le reflet de nos héros : contrairement à eux, il veut se battre plutôt que de jouer sur scène.

La dualité qui en découle révèle chez Matilde et ses amis un héroïsme vertueux, à rebours des super-héros propagandistes qu'on retrouve dans Watchmen (version Moore) ou plus récemment dans The Boys, où les surhommes sont parfois littéralement... des nazis. En faisant de ses protagonistes des résistants qui s'ignorent, de fortes personnalités attachantes aux prises avec un régime qui voudrait supprimer leur identité, leur richesse et leur fibre artistique, Mainetti prône la vision d'un super-héros humaniste et confirme par la même le respect qu'il voue aux grandes figures de la culture populaire.

 

Freaks Out : photo, Aurora GiovinazzoUne lumière dans la nuit

 

Rien de révolutionnaire là-dedans, bien sûr, mais la sincérité de l'ensemble reste assez rare pour être soulignée... et attendre plus de productions européennes du genre. Après le sympathique Mortel de André Øvredal (et sans compter toutes les productions indiennes et indonésiennes comme Red Storm), Freaks Out prouve définitivement que les Américains n'ont pas le monopole des super-pouvoirs. Et un peu de diversité, c'est bon pour la santé.

 

Freaks Out : Affiche officielle

Résumé

Pendant que Guillermo del Toro s'éloigne temporairement du cinéma fantastique, Gabriele Mainetti se charge de perpétuer son héritage avec un film de super-héros populaire, humaniste et finalement très poétique.

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Lecteurs

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commentaires
Alan-Nero
04/03/2023 à 22:40

Attiré par une bande-annonce époustouflante, le film m'a rapidement paru bien lent.
Des nazis plus clichés qu'à l'accoutumée, un méchant impossible à prendre au sérieux tant il est con et des héros sans intérêt, survivant dans une histoire avec une bonne idée de base mais aussi bien traité qu'une vache d'usine.
Et rien ne m'a fait penser à Albert Dupontel ou Guillermo del Toro durant mon visionnage.
Passez votre chemin, vous ne manquez rien.
Le meilleur du film est dans la bande-annonce.

Ozymandias
17/08/2022 à 23:45

Mouais vu ce soir, pas hyper convaincu. C'est pas mal mais ça ne m'a pas emporté plus que ça. Dommage.

Flo
05/04/2022 à 12:52

C’est chic…

« Freaks Out », voilà un titre qui veut tout dire et qui est l’expression complète de ce que nous présente cet exercice filmique : nous balancer à la figure une galerie de monstres, composée de trois groupes qui vont s’entrechoquer.
Des artistes de cirque individualistes, aux pouvoirs augmentés…
Les monstres ordinaires et médiocres du Reich…
Des maquisards cabossés furieux, semblant débarquer d’un futur à la Mad Max (ce n’est pas la seule référence culturelle anachronique qui compose ce film, Star Wars inclus)…
Tout ça au milieu des déportés de l’Italie occupée de 1943, traités au premier degré par contre.

Foutraque ? Assurément !
Jouissif ? Par moments.
Sensé ? Pas le moins du monde.
Mais ça ne semble pas le but de Gabriele Mainetti qui, tel un Michael Bay transalpin, est plus occupé à shooter des scènes chocs (quoique pas très kinétiques), par plaisir… Mais comme Bay, sans exploiter suffisamment les diverses possibilités scénaristiques qui auraient pu découler de toutes ses idées visuelles (les recherches occultes de Hitler, le chapeau chaplinesque, par exemple).
Ni même penser à se servir plus ouvertement de son volet « Pop temporel » pour préciser la persistance de l’idéologie nazie, mangée à toutes les sauces à travers les ans, encore aujourd’hui.

On est surtout là dans une épopée un peu picaresque, fonctionnant par coups du sort, à l’histoire assez simple – séparer tout la « famille », pour mieux créer un parcours tortueux censé permettre une réunion finale.
Et qui, malgré le foisonnement de personnages, est clairement menée principalement par seulement deux d’entre eux : une jeune fille typique, jouée par la découverte Aurora Giovinazzo, et mélange super-héroique de Malicia et… Carol Danvers ? (les connaisseurs apprécieront l’ironie).
Et un artiste de cirque allemand (la sensation du moment, Franz Rogowski), dont la fidélité obsessionnelle envers le régime d’un pays qui méprise sa différence, a quelque chose de continuellement fascinant. Malgré la présence d’une romance superflue pour sa caractérisation, c’est bien lui le moteur central de cette histoire.

Bien sûr, avec ses moyens très confortables ce divertissement pourrait faire jeu égal avec des blockbusters américains super-héroiques communs…
Sauf que non, et sa gestion des climax le confirme, ça n’est pas compatible avec l’esprit Latin, avec la propension à la grosse grivoiserie, qui tâche bien plus que n’importe quel antihéros US. Comparer avec les américains serait totalement vain, inutile… Ce ne sont pas les mêmes types de cultures.
Il y manque alors un peu de bricolage artisanal pour toucher à une certaine poésie – malgré une musique flirtant avec du Nino Rota, on n’est pas du tout chez Fellini.
Une jolie innocence, très optimiste, y est néanmoins assumée jusqu’au bout, faisant de cet opus une sorte de pendant inverse du plus dur et mélancolique « …Jeeg Robot », précédente tentative super-héroique de Mainetti. Et donc complémentaire.

Pas un film si mémorable, à moitié imprévisible, ne tenant pas toujours sur la longueur… Mais de bons petits moments à passer avec ses héros.
Comme tous les bons films de ce genre quoi ? Mais de héros de fumetti…

galetas
01/04/2022 à 20:15

Formidable film Italien (et oui!!!) qui atomise tous les blockbusters américains .
Foncez le voir, je ne pense pas malheureusement qu'il va rester longtemps à l'affiche.

Ozymandias
01/04/2022 à 09:54

Dommage, pas visible sur Neuchâtel. Tant pis :-(.

Kyle Reese
30/03/2022 à 18:19

Serait-ce le parfait antidote à Morbius … en tout ça la BA donne envie. L’idée de base est plutôt judicieuse.

The insider38
30/03/2022 à 12:08

Exellent film , qui enterre bon nombres de production Marvel et Sony..
ça me fait d’autant plus plaisir, qu ils sort face à la purge Morbius, le choix est vite fait

ZakmacK
30/03/2022 à 02:24

Enfin il sort ! J'ai trop hâte de le voir. Jeeg robot etait déjà très cool, celui-ci promet beaucoup.

Birdy en noir
29/03/2022 à 14:56

Ok, vous m'avez tous convaincu. Je fonce.

maitreMacron
29/03/2022 à 13:21

mais le cinéma Européen est d' une telle puissance qu ' il domine le monde entier n t 'elle un dieux

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