Heeramandi : critique qui fait la révolution sur Netflix

Clément Costa | 7 mai 2024
Clément Costa | 7 mai 2024

Légende vivante du cinéma indien contemporain, Sanjay Leela Bhansali réalise sa toute première série avec Heeramandi : Les diamants de la cour sur Netflix qui suit une élite de courtisanes à Lahore en pleine révolte contre l’Empire britannique. Budget conséquent, casting de rêve et sujet passionnant, tout était réuni pour une réussite totale. Le résultat est-il à la hauteur des promesses ?

LE MÂL(E) N’EXISTE PAS

Qu’est-ce qu’un auteur adulé ayant déjà une liberté de création totale dans son industrie cinématographique peut bien venir chercher chez Netflix ? C’est une question légitime que beaucoup de cinéphiles se sont posée lorsque l’immense Sanjay Leela Bhansali a annoncé sa série Heeramandi pour le géant du streaming. Parviendrait-il à utiliser ce nouveau média à son avantage ou allait-il se faire broyer par la machine ?

Les premières minutes de la série répondent immédiatement à toutes les interrogations possibles. Le maître Bhansali est bien aux commandes de Heeramandi et il semble évident que personne n’a pu influencer ou diluer son style reconnaissable entre mille. À l’image de ce générique d'ouverture sous forme de rideau de théâtre, un motif qui traverse toute sa filmographie depuis Devdas, chaque seconde à l’écran nous indique que le cinéaste a créé cette nouvelle expérience de bout en bout.

 

Heeramandi : photoLe Trône de Soie

 

Sanjay Leela Bhansali est avant tout un esthète, maître d’un cinéma qui veut constamment susciter l’admiration des spectateurs. Ce talent inné pour les esthétiques somptueuses se confirme une fois de plus avec ces huit épisodes qui sont tous plus sublimes les uns que les autres. La mise en scène est minutieuse, savamment réfléchie. Les décors et les costumes illuminent l’écran. Chaque séquence nous rappelle à quel point le génie du cinéma bollywoodien mérite sa réputation.

Mais le triomphe n’est pas que visuel. Difficile de ne pas admirer l’écriture des dialogues, qui affirment sans détour l’héritage littéraire dans lequel Bhansali a toujours placé son art. Artiste total et polyvalent, le cinéaste s’illustre également à la composition musicale avec une bande-originale riche et complexe. On retiendra tout particulièrement le thème principal qui revient sur les huit épisodes ainsi que le titre "Azadi", véritable choc venant conclure la série.

 

Heeramandi : photoL'art du plan parfait

 

NOUVEAU DÉFI, NOUVEAUX PIÈGES

Pour venir compléter son triomphe technique, le réalisateur peut compter sur un casting féminin absolument prodigieux. Le cinéma de Bhansali a toujours été traversé par des femmes fortes, des héroïnes en quête de pouvoir et de liberté. La grande Manisha Koirala incarne une Mallikajaan trouble et passionnante. À la fois détestable et touchante. Dans sa rigueur artistique, elle semble incarner un alter ego du cinéaste, réputé pour être perfectionniste à l’excès sur ses tournages.

Saluons également la présence de Sonakshi Sinha. Longtemps réduite à des rôles de plante verte par le cinéma commercial bollywoodien, l’actrice prouve ce dont elle est capable quand on lui propose un rôle à la hauteur de son talent. Mais c’est sans aucun doute Aditi Rao Hydari qui livre la plus grande performance du lot avec un rôle complexe, jouant autant sur la sensualité que sur la révolte, la sensibilité et la force de caractère. Après un rôle secondaire remarqué dans Padmaavat, il est aisé de comprendre pourquoi Bhansali tenait à retrouver l’actrice pour cette série.

 

Heeramandi : photoLe véritable diamant de la série

 

Initialement prévu pour être un long-métrage, le scénario de Heeramandi a grandement évolué au fil des années pour se transformer en série. Autrement dit, Sanjay Leela Bhansali a déjà passé énormément de temps à imaginer le monde, les personnages et les événements du récit. Et c’est peut-être bien là le seul défaut majeur de son œuvre. Le cinéaste lance trop de pistes, trop de sous-intrigues et nous introduit trop de personnages secondaires. Cet excès le pousse à sacrifier la caractérisation de ses héroïnes dans les premiers épisodes.

Cela vient également créer des problèmes de rythme en milieu de série, au point que l’on pourrait se demander si tout cela n’est pas qu’une jolie coquille vide avant que l’épisode 5 ne vienne faire basculer la narration et ne clarifie son propos. Dans l’ensemble, une écriture plus condensée et affinée aurait grandement bénéficié au récit. On se retrouve avec une série plus exigeante que les longs-métrages habituels du réalisateur, la faute à une certaine complaisance qu’on ne lui connaissait pas.

 

Heeramandi : photoVous avez dit trop de personnages ?

 

CIVIL WAR

D’un point de vue thématique, Heeramandi vient prolonger les questions récurrentes du cinéma de Sanjay Leela Bhansali. La figure emblématique des courtisanes comme métaphore des luttes féministes et luttes de classes traversaient déjà ses plus grands longs-métrages, dont Devdas et Gangubai Kathiawadi. Cette série vient approfondir ses réflexions et les développer plus amplement. Il nous présente des héroïnes résistantes, qui osent rêver et prendre le pouvoir dans un monde d’hommes.

Autre continuité passionnante de son œuvre, le réalisateur vient reprendre sa réflexion sur la force de la sororité. Dans le controversé Padmaavat, il concluait son récit en affirmant qu’aucun empire aussi barbare soit-il ne pouvait briser un groupe de femmes unies. Plus radical que jamais dans son propos, Bhansali l’affirme à nouveau haut et fort dans Heeramandi. Le cinéaste vient même expliciter la morale de fin par une voix-off trop explicative mais compréhensible quand on sait à quel point le message de ses œuvres a pu être détourné par le passé.

 

Heeramandi : photoL'heure est à la révolution 

 

Cette série Netflix semble également constituer l’œuvre la plus ouvertement politique de son auteur dans sa représentation de la lutte des classes et de la révolution indienne. Au-delà du simple regard critique sur la colonisation, Heeramandi dresse un parallèle subtil et passionnant entre l’Empire britannique et le gouvernement indien actuel. Un gouvernement tout-puissant, qui repose sur une police meurtrière et une presse mensongère. "Le pays est au peuple, pas à ses oppresseurs" affirme un résistant au détour d’une séquence. Un message limpide en pleine période électorale.

Au-delà de sa portée politique globale, la série s’avère être une œuvre particulièrement intime pour le cinéaste. Bhansali se questionne sur la survie de l’art dans une industrie qui cède au tout commercial. Comme l’affirme fièrement Mallikajaan dès le premier épisode, ses performances sont "pour les mélomanes, pas pour les marchands de musique".

Mais le cinéaste questionne également la responsabilité des artistes dans un contexte politique chaotique. Courtisanes, poètes et intellectuels, tous finissent par abandonner provisoirement l’art pour privilégier une révolution plus que nécessaire. À l’image de ce plan nostalgique et déchirant du dernier épisode lors duquel on recouvre les instruments de musique d’un voile blanc pour aller prendre les armes. Heeramandi semble se conclure dans l’urgence. Éteignez les lumières, le spectacle est fini, l’heure est au combat pour une liberté menacée.

Heeramandi est disponible sur Netflix depuis le 1er mai 2024

 

Heeramandi : photo

Résumé

Malgré ses longueurs et ses trop nombreuses sous-intrigues, Heeramandi est une véritable pépite du catalogue Netflix grâce à une exécution technique admirable. Plus encore, la série s’avère être hautement politique et cruciale dans ce qu’elle raconte de l’Inde contemporaine. Entre féminisme et lutte des classes, son message en fait une grande œuvre universelle.

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commentaires
Moana
09/05/2024 à 09:41

Une série juste fabuleuse.
Tellement attractif et passionnant.
A quand la 2eme saison ?

yaya1511
08/05/2024 à 00:22

Un véritable joyaux du cinéma Indien, des cinématiques sublimissimes dignes des plus grands réalisateurs, les musiques sont enivrantes, l'histoire très émouvante, les costumes magnifiques, le tout dans une ambiance "prince of Persia" mais version India.

On sent bien que tout y a été pensé et peaufiné depuis longtemps et rien ne fait défaut: une esthétique à couper le souffle, des intrigues, de l'amour, du drame inspiré de faits historiques réels et les acteurs j'en parle même pas...

Bref 20/20

Sabtd
07/05/2024 à 21:24

Tout simplement..., tout y est, les intrigues, les scénarios, et la beauté de cette série, je suis restée subjuguée et ne manquerai pas de la visionner ine seconde fois...

Mariecarazgagniere@gmail.com
07/05/2024 à 21:24

J'adore cette série

Pseudo2
07/05/2024 à 20:43

Vu trois épisodes, c'est sublime à l'excès, chaque scène est plus belle que la précédente (et la première scène éclate déjà les globes oculaires)

Par contre, le rythme devient très vite lethargique. Le troisième épisode aurait pu durer 12 minutes vu ce qu'il raconte.

Ça reste à voir, au moins pour en prendre plein la gueule et assister à des moments aussi beaux que cruels (la danse de l'alcoolique )

Andarioch1
07/05/2024 à 16:32

bon ben je ne savais pas trop quoi montrer à ma femme après Mon petit renne donc je vais m'y coller. D'autant qu'elle avait déjà bien apprécié Delhi crime (à quand une 3ème saison?)

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